Le chemin de fer à Calais pendant la Grande Guerre
En 1914 les installations ferroviaires de la gare de Calais-triage comprenaient dix voies de faible longueur et une douzaine de voies en impasse ne pouvant contenir chacune qu’une quinzaine de wagons . Les voies ferrées de Dunkerque, de Boulogne et de Saint-Omer, aboutissant à Calais, n’avaient entre elles aucun raccordement direct . Tous les trains devaient entrer en gare de Calais et y faire passer leurs locomotives de tête en queue . Pendant la course à la mer et la bataille de l’Yser les trains chargés de troupes montant vers Saint-Omer-Hazebrouck furent donc obligés de changer de machines en gare de Calais-triage.
L‘imperfection d’un tel système, qui entraînait des retards considérables, amena la création d’un raccordement direct au sud de la gare des Fontinettes, dans la région de Rivière- Neuve. Le travail fut rapidement exécuté par les sapeurs du 5e génie. Ils commencèrent en octobre · 1914. Quelques mois après (avril 1915) le général commandant en chef approuvait l’exécution d’un autre raccordement des voies de Boulogne-Dunkerque, en passant à travers le massif des fortifications voisines de la rue du Four-à-Chaux. La gare de Calais prit alors un développement considérable. La création des bases anglo-belge amenait une énorme circulation de trains de troupes ou de ravitaillement. Vingt quatre voies de garage furent installées le long de la ligne de Coulogne près de Rivière-Neuve et le raccordement des lignes Boulogne-Saint-Omer fut déplacé pour faciliter les opérations. Douze voies spéciales sont construites près de Coulogne pour l’embarquement et le débarquement des troupes et le service des trains sanitaires.
Soldats du 5e Génie Français travaillant au raccordement direct des voies ferrées des lignes Boulogne-Saint Omer et Dunkerque
Vue des installations ferroviaires des Fontinettes prise par un avion allemand en octobre 1917
Chaque nuit partent de Calais plus de cinquante trains de ravitaillement provenant des bases militaires du camp retranché. En aucun cas les bombardements aériens, qui touchèrent si souvent les installations ferroviaires et blessèrent ou tuèrent nombre de ses agents, ne réussirent à empêcher la formation et le départ des trains de ravitaillement dans les délais fixés par l’Etat-Major.
L‘importance stratégique de plus en plus considérable de la région calaisienne fit constater l’insuffisance de la voie unique qui reliait Calais à Dunkerque. La ligne fut doublée par le génie militaire au moment où la bataille des Flandres commençait. Afin de compléter ces améliorations un troisième raccordement direct relia les lignes de Saint-Omer-Dunkerque, aux abords du parc Valdelièvre et de la halte de Coulogne.
L‘on juge l ‘importance vitale, dans une guerre comme celle de 1914-1918 du service des chemins de fer et de ce que l’on appelait dédaigneusement les « services de l’arrière , lorsqu’on se souvient qu’il fallut subvenir au ravitaillement de six millions de combattants français et alliés et de plus d’un million de chevaux ; à l’approvisionnement de plus de vingt mille canons, sans compter les mitrailleuses, les fusils, etc., et à l’évacuation globale de plus de trois millions de blessés et malades. Pendant toute la guerre les armées françaises opérant dans les Flandres utilisèrent, pour leurs communications par voies f errées, la ligne de la côte avec Dunkerque et surtout Calais comme gares régulatrices, qui recevaient les trains venant de l’intérieur et formaient les trains de ravitaillement nécessaires aux différentes armées. La gare régulatrice de Calais avait été créée de toutes pièces à proximité des voies de la gare des Fontinettes.
Train ambulance britannique en gare centrale de Calais
A l’arrivée des Anglais, en avril 1915, la réorganisation de la base belge dans la,région Calais-Gravelines- Bourbourg nécessitait la pose de plus de dix kilomètres de voies ferrées et l’armée belge plaçait sa gare régulatrice à Adinkerque. Les Britanniques ont installé, pour eux, la Regulating Station, qui fonctionne à Rivière-Neuve, avec· des voies de garage à Coulogne et aux Fontinettes et des annexes aux Attaques et à Audruicq. Sa création nécessite le charroi de plus de cent mille mètres cubes de terre et la pose de cinquante kilomètres de voies ferrées, dont trente kilomètres au garage de Coulogne et de Rivière- Neuve où l’on forme les trains de ravitaillement.Pendant l’année 1915, sur le réseau du Nord, réduit à moins de 2.ooo kilomètres, ont circulé plus de 114.ooo trains militaires, représentant environ 3.650.000 wagons.
Au moment de l’offensive des Flandres, les régulatrices de Calais assurèrent, chaque jour, le départ de près de 150 trains, dont près de 20 pour l’armée britannique, ce qui représente, pour une année, plus de 54.000 trains. L’exposé qui précède permet de se rendre compte de l’activité formidable qui régnait dans la région de Calais. Toutes les voies ferrées sont réquisitionnées pour les armées et servent également au ravitaillement de la population civile et aux besoins des industries privées. On conçoit aisément qu’une autorité supérieure était indispensable pour assurer le fonctionnement de cette vaste organisation. Sa place était évidemment à la poignée de l’éventail que formaient les communications par fer et par eau des armées alliées, c’est-à-dire à Calais. La commission régulatrice de Calais est créée par le général Joffre; elle existera durant toute la guerre et même après l’armistice.
Sa composition est essentiellement interalliée. De 1914 à 1916, elle est présidée par le Lieutenant- colonel Maurier et, de 1916 à 1919, par le lieutenant- colonel Frid .
L ‘organisation dépend directement du général en chef, puis du maréchal Foch. Les Grands Quartiers Généraux anglais et belge sont représentés près du commissaire régulateur de Calais, par une dizaine d’ingénieurs de la Compagnie du Nord ou des ports formant une section technique qui aura à résoudre d’incessants problèmes concernant le trafic de plusieurs armées.
L’Etat-Major militaire du commissaire régulateur comprend un certain nombre d’officiers du génie et de différentes armes et un attaché de· l’Intendance. Parmi eux, citons le capitaine d’infanterie Du Paty de Clam , l’adjoint à l’Intendance Lacour-Gayet, le Lieutenant de Broca etc.
La Commission de Régulation en réunion à la gare Maritime
En mai 1918, à la suite d’un accord passé entre le gouvernement belge et le maréchal Foch, une commission pour l ‘étude de la réfection des ports belges est créée .par la gare régulatrice. Ce sont les études d e cette commission, composée du colonel Viellard (Belge) , du colonel Frid (Français) et du colonel Gibb (Anglais), qui permirent, au lendemain de l’ armistice, de commencer les travaux de réfection de Zeebrugge et d’Ostende dans les conditions de rapidité qui ont étonné le monde.
Jusqu’au début de 1918 les bureaux de la commission régulatrice sont installés dans la vaste salle du premier étage de la: Gare Maritime, et c’est dans cette salle qu’eurent lieu les plus importantes conférences politiques et militaires interalliées. A la suite d’un bombardement, les locaux ayant été dévastés par une torpille, la commission régulatrice fut transférée au Fort Risban où elle resta jusqu’à son départ pour Bruges lors de la victoire.
Au milieu d’un aussi vaste mécanisme militaire, que devenait le pauvre civil calaisien obligé de voyager ? Il faut d’abord qu’il se munisse de multiples pièces d’identité. Pour voyager dans la zone des armées il faut un laisser passer et un sauf-conduit. Pour la zone réservée il doit demander en outre au commissaire militaire de la gare une autorisation spéciale. La délivrance de chaque papier est généralement précédée d’un interrogatoire minutieux sur le but du voyage, sa durée, etc.
Les trains civils marchent avec une lenteur désespérante, ils sont rares et irréguliers et, à chaque changement de trains, il faut attendre au moins douze heures dans les gares intermédiaires. Pendant de longs mois il n’y a qu’un seul train par jour de Dunkerque à Paris, par Calais et Boulogne, et un autre en sens inverse. Lorsqu’ils devront passer par Abancourt et Le Tréport, les Calaisiens mettront quelquefois trente heures pour gagner Paris dans des wagons archi bondés. En janvier 1917 un avis, affiché dans la gare, avisait le public que, désormais, les trains de Calais à Paris et vice-versa prendraient sur tout leur parcours l’allure des trains militaires. Longtemps après l’armistice la crise des transports par chemin de fer continuera de subsister.
Pendant les quatre années les voies ferrées et le matériel avaient été fort peu entretenus et soumis à une exploitation intensive. La Compagnie du Nord eut à assumer la réfection presque totale des voies et la remise en état de son matériel. Ce travail immense achevé, le trafic recommença avec la même rapidité et la même exactitude qu‘avant la guerre.
Sources Albert Chatelle "Calais pendant dans la Guerre 14.18"