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extrait de l’ouvrage "Métallurgie en Boulonnais"  éditions A.M.A/Histopale 

Auteur Edmond Truffaut ( Docteur en Histoire )

 

 Les acteurs d’une  aventure industrielle :

 
les hauts fourneaux d’Outreau de 1857 à 1978
 
 
 
 
Cent cinquante ans après leur création en 1857, les hauts fourneaux d’Outreau s’arrêtent définitivement en 1978, voués à la destruction. A quelques kilomètres de là, au port de Boulogne sur mer, sur un terre-plein gagné sur la mer, trois hauts fourneaux érigés depuis 1961 les remplacent, poursuivant jusqu’à aujourd’hui une fabrication de ferromanganèse transférée de Marseille à Outreau en 1906. C’est à travers l’histoire de ces hauts fourneaux, que nous retrouverons les acteurs d’une  aventure industrielle qui, débutant par une usine à fonte construite pour exploiter des minerais de fer locaux, a abouti à la création d’une entreprise d’envergure internationale, en examinant successivement :
  
  •  1857-1887. Les hauts fourneaux d’Outreau de la Société de Montataire.

  • 1897. Les hauts fourneaux d’Outreau de la Société Métallurgique d’Outreau.

  • 1897-1902. Les hauts fourneaux d’Outreau de la Société Gustave Robert et Cie.

  • 1902-1978. Les hauts fourneaux d’Outreau et de Boulogne-sur-mer de la Société des Aciéries de Paris et d’Outreau :

         1902-1905 :  une usine à fonte.
         1906-1919 :  création et développement d’une fabrication de ferromanganèse.
         1919-1952 :  d’une après-guerre à l’autre : des années difficiles.
         1952-1978 :   Emergence d’une entreprise d’envergure internationale.
 
 
 
1857-1887. Les hauts fourneaux d’Outreau de la Société de Montataire.
 
En 1857, la Société de Montataire est une vieille société sidérurgique, installée à Creil depuis plus de quarante ans. L’usine de Creil-Montataire a été construite par un ancien élève de la première promotion de l’Ecole Polytechnique, Georges Dufaud. Celui-ci, sous l’Empire, pendant la paix d’Amiens en 1802 ou 1803, s’est rendu incognito en Angleterre  pour y observer la nouvelle métallurgie du fer, basée sur la production de fonte au haut fourneau au coke et à l’affinage de cette fonte en fer dans un « four à puddler » chauffé à la houille suivant un procédé inventé par l’anglais Cort en 1864. Dès 1809, Dufaud est en France, le champion de la métallurgie à l’anglaise.
Sans doute à partir de 1811, Georges Dufaud travaille à Montataire dans une petite usine qui travaille les métaux, et y construit un four d’affinage et un petit laminoir d’essai pour l’étirage du fer, toutes opérations se faisant à la houille. En 1813, après la faillite de son propriétaire, l’usine de Montataire est reprise par les frères Mertian, Bernard et Louis. Bernard est un des anciens camarades de Dufaud à Polytechnique ; comme lui, il est passé en Angleterre pendant la paix d’Amiens où il a pu « surprendre des procédés de fabrication encore inconnus en France ». Lorsque les frères Mertian y créent leur entreprise en 1813, le village de Montataire près de Creil dans l’Oise compte 200 habitants. Le site a été choisi pour ses possibilités en énergie hydraulique et pour la proximité de Paris, garantie d’un écoulement facile de la production et d’un approvisionnement sûr en matières premières (ferrailles).
 
Comme plusieurs maîtres de forges, Bernard Mertian est  membre, de 1814 à 1825, du Conseil Général des Manufactures qui assure alors  la représentation des intérêts économiques auprès des pouvoirs publics. Il intervient comme rapporteur sur plusieurs questions commerciales touchant les importations de droits de douanes sur les fers aciers, et deux fois sur des questions intéressant le port de Boulogne :  demande des commerçants en soieries de la place qui désirent créer un entrepôt pour favoriser le smugglage (commerce interlope) vers l’Angleterre, puis, plus tard, demande des importateurs de bois qui voudraient aussi importer des écorces d’arbres propres à l’industrie des cuirs.
 
Dès l’origine de Montataire, les dirigeants de l’entreprise, Georges Duffaud, Bernard et Louis Mertian, connaissent donc Boulogne. Peut être s’y sont-ils embarqués pour l’Angleterre ?
Nous avons peu d’informations sur les activités de l’usine de Montataire  au cours de la  première moitié du XIXème siècle, sinon la mention de quelques velléités dans les années 1810, sans suites, de construction d’un haut fourneau pour la production de fonte,  et plus tard, en 1829,  une ordonnance de l’Administration des mines  autorisant sans plus « la poursuite et le complément de l’usine à fer et à cuivre de Montataire ».
Depuis Dufaud, et les frères Mertian, les conditions d’un développement significatif d’une métallurgie à l’anglaise à Montataire n’ont donc pas été réunies. Les choses vont changer avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer Amiens-Boulogne et la découverte de minerai de fer dans le sud du Boulonnais.
 
 
 
Le chemin de fer Amiens-Boulogne.
 
En 1844, le Conseil Général des Ponts et Chaussées avait conclu à la nécessité de desservir par chemin de fer les trois ports du Nord, Dunkerque, Calais et Boulogne.
Après des campagnes de reconnaissance du terrain entre 1835 et 1840, la  Compagnie du chemin de fer d’Amiens à Boulogne-sur-mer avait été créée en 1845. Et, malgré les difficultés économiques et sociales du moment, la ligne de chemin de fer Amiens-Boulogne est inaugurée en avril 1848.
Réuni à Boulogne cinquante ans plus tard, le IIIème congrès pour l’avancement des sciences sur le thème « Boulogne-sur-mer et la région Boulonnaise », déclarait que « le fait le plus important pour la prospérité du Boulonnais fut l’arrivée en avril 1848, du premier train de chemin de fer venant d’Amiens . Depuis longtemps la question d’une ligne de chemin de fer devant relier Paris à la côte était pendante devant les chambres ; Calais et Boulogne se disputaient l’honneur d’être la tête de ligne. En 1843, une compagnie anglaise fit pencher la balance en faveur de Boulogne en construisant une ligne de Londres à Folkestone ; enfin en 1844, la cause fut gagnée définitivement grâce au zèle des magistrats municipaux et du député (et banquier) Delessert. A la nouvelle du vote de la loi, la population entière témoigna sa joie et sa reconnaissance au maire Alexandre Adam,  et à ceux qui l’avaient secondé, Louis Fontaine, Demarle aîné, Gérard, Mariette et Coquet ».
Le premier train circule le 17 avril 1848. L’annonce d’un contrat de fret portant sur une « large part du trafic avec l’Angleterre » intervient dès avril 1849, celle de la création de voies de garage et d’un quai à Pont de Briques et  d’une demande de voies « bord à quai » au port de Boulogne en janvier 1850. Pendant les trois derniers trimestres de l’année 1849,  32897 tonnes de charbon et de coke sont transportées . Si on ignore dans quelle mesure l’usine de Creil a été destinataire de combustibles anglais, il était évident que la Société de Montataire était directement intéressée par l’ouverture de la ligne Paris-Boulogne.
 
La première gare de Boulogne ( Archives Ville de Boulogne sur Mer)
 
Alexandre Adam ( 1790-1886) a été le grand artisan de l’arrivée du chemin de fer à Boulogne. Associé par son père Alexandre aux affaires de sa banque en 1818, Francois-Alexandre Adam qui se fait appeler Alexandre Adam, est conseiller municipal de Boulogne-sur-mer en 1819 puis maire de 1830 à 1849 ; sa carrière politique connaît une brève interruption à l’abdication du roi  Louis-Philippe dont il partage les idées libérales. Président du Conseil général de 1852 à 1866, il est réélu maire de Boulogne de 1855 à 1861. Membre fondateur de la Chambre de commerce créée par ordonnance royale en 1819 , il en devient le président. Son nom est associé au développement du port de Boulogne, et surtout à l’arrivée,  du chemin de fer
 
 Buste en bronze d’Alexandre Adam ( Château Musée de Boulogne sur mer )
 
 
La découverte de minerai de fer au sud de Boulogne.
 
Avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer Amiens-Boulogne qui permet à l’usine de Creil de la Société de Montataire un accès direct au port de Boulogne, la découverte de minerai de fer a été déterminante pour l’arrivée de Montataire dans le Boulonnais.
Le 8 mai 1854, Le Moniteur annonce la mise en place dans les communes de l’arrondissement de Boulogne d’un camp de 100 000 hommes placé sous le commandement personnel de Sa Majesté Napoléon III.  Le 1er juin arrivent les unités du Génie chargées de l’établir sur les sites de Wimereux, Ambleteuse, Honvault et Equihen. Ce dernier est de forme rectangulaire  occupe les hauteurs qui dominent le village d’Equihen, son côté sud étant tourné vers Ecault ; il est commandé par le général-comte de Mac-Mahon qui est « baraqué » à Outreau au Château des Deux-Lions.
En novembre 1854, des sapeurs du Génie occupés à des travaux de terrassement destinés à améliorer le tracé de la route conduisant au camp d’Equihen découvrent du minerai de fer. Le rapport de Sens, ingénieur des mines de l’arrondissement d’Arras confirme le fait dans un rapport du 17 décembre 1856. « C’est l’armée qui, travaillant à la construction d’une route a mis à découvert dans les tranchées les gîtes du plateau ».
extrait cadastre ( archives départementales du Pas-de-Calais )
 
Le bruit de la découverte s’est rapidement répandu ; dès 1855, la rumeur disait que des industriels étrangers à la région venaient d’acheter des terrains à proximité de la « Verte-Voie » pour y installer une usine destinée à fondre le minerai découvert par les soldats : en fait d’industriels étrangers, il s’agissait de la Société de Montataire qui avait engagé un vaste programme de prospection minière  pour évaluer l’importance du gisement. Elle n’était pas seule : Pinart Frères de Marquise et Denain-Anzin qui exploitaient déjà les minerais du nord de Boulogne, étaient également au travail. Beaucoup de propriétaires concernés concèdent à l’une ou l’autre de ces entreprises le droit d’extraction du minerai.  
 
 
 
 
 
Création des hauts fourneaux d’Outreau par la Société des forges de Montataire
 
 
Le 29 août 1956,  Le Journal de Boulogne-sur-mer publie un article intitulé « La création des usines de Montataire à Outreau » ; l’historien Albert Chatelle  y fait état de « longs et discrets conciliabules » qui au cours de l’année 1855 ont lieu entre le duc de Noailles, président du Conseil d’Administration de la Société anonyme des forges de Montataire, et Louis Moreau de Vernicour, maire d’Outreau, conseiller général du Pas-de-Calais et secrétaire de la Société d’agriculture. Les discussions portent sur l’achat de terrains pour y établir une usine de hauts fourneaux destinés à traiter les minerais récemment découverts au sud de Boulogne, à Outreau et à Pont-de-Briques ; elles aboutissent et le duc de Noailles confirme son accord au maire d’Outreau dans les premiers jours de 1856.
Le 29 janvier suivant, l’administrateur-délégué de Montataire demande au préfet du Pas-de-Calais l’autorisation d’installer à Outreau une usine à fer comprenant quatre hauts fourneaux (16 mètres de hauteur, 500m3 de volume, 15 tonnes de production journalière), deux cubilots et soixante fours à coke. Les dirigeants de l’Usine de Marquise et des Forges de Denain-Anzin qui consomment les minerais de fer du boulonnais depuis plus de vingt ans s’inquiètent des possibilités des minières locales. Denain-Anzin demande une enquête préalable ; en réponse, Montataire s’étonne de voir une usine située à quelque deux cents kilomètres de la commune où les minerais sont extraits, s’opposer à ses projets, et annonce la conclusion d’une trentaine d’accords pour l’exploitation du minerai avec les propriétaires des terrains et en leur place.  Finalement l’ingénieur en chef des mines de Valenciennes, Doubousquié juge la demande d’enquête de Denain-Anzin incompatible avec les délais d’instruction normalement prévus pour la demande d’autorisation et transmet le dossier à son adjoint Sens qui recommande de donner une réponse positive à la demande de Montataire. Selon ce dernier, l’usine, installée dans un lieu isolé, à plus de 1 kilomètre de tout village, n’est ni dangereuse ni incommode pour le voisinage.
Il semble que Montataire n’ait pas attendu l’autorisation officielle, et le rapport annuel pour l’année 1856 de l’ingénieur des mines signale les premières constructions contre le chemin de fer près de la station de Pont-de-Briques. Le 6 janvier suivant, un arrêté préfectoral  autorise la construction de quatre hauts fourneaux, de quatre machines à vapeur de 60 chevaux pour commander les souffleries et de quatorze chaudières chauffées au gaz de haut-fourneau et à la houille. L’Impartial de Boulogne-sur-mer publie le 19 mars un communiqué du Duc de Noailles selon lequel l’usine d’Outreau fera bientôt travailler six cents ouvriers.
 
  •  Approvisionnement des hauts fourneaux en minerais de fer, combustibles et fondants.
 Les recherches minières préalables auxquelles Montataire s’est livrée en préalable à son implantation, lui ont permis de découvrir plusieurs nouveaux gisements de minerais ; ceux-ci forment à faible profondeur, des couches superficielles d’étendues irrégulières, exploitables à ciel ouvert ; la faible découverte permet le comblement et la remise en culture après extraction. Les qualités de minerai, très variables, vont de l’hématite véritable au grés ferrugineux. Les minerais sont essayés aux hauts fourneaux d’Aulnoye qui à l’époque appartiennent sans doute à la Société de Montataire ; ils rendent 33% de fonte. Montataire évalue les réserves de minerai reconnues à 1360000 tonnes; la marche à quatre hauts fourneaux est donc possible pendant 21 ans.
Montataire découvre du minerai contre l’église de Saint-Etienne-au-Mont, en deux couches compactes séparées par un lit de sable argileux de 1 mètre d’épaisseur. Il est recouvert par une couche de 2,50 mètres d’argile et de graviers et repose sur des sables ; ce minerai est utilisable pour la majeure partie simplement concassé.
A Ecault, le minerai découvert se présente en rognons et morceaux, dans une couche de sable argileux de 1 mètre environ d’épaisseur ; il est trié en mine « propre » directement utilisable et en mine « sale » qui doit être lavée. A Equihen sur le plateau précédemment occupé par le camp militaire ; la présentation du minerai est identique à celle d’Ecault. A Outreau la formation qui s’étend sur le plateau entre le Moulin de Gravois et la ferme du Renard, est la même que celle d’Ecault, fréquemment en affleurements ; les charrues retournent tous les jours de nombreux et riches morceaux. Montataire ne découvre que des minerais trop siliceux pour constituer seuls la charge du haut fourneau ; elle effectue donc quelques reconnaissances au nord de Boulogne dans l’espoir de trouver des minerais complémentaires, dans la zone prospectée jusque là par Pinart Frères de Marquise et Denain-Anzin ; elle trouve du minerai au Blanc-Pignon (Saint-Martin les Boulogne) , à Rupembert et La Poterie (Wimille). Au terme de ses reconnaissances, Montataire s’est constituée une réserve de minerai qui permet d’envisager la marche à quatre hauts fourneaux pendant vingt ans ; à cette époque  les hauts fourneaux de Marquise et de Denain-Anzin annonçaient des réserves comparables
Mais ces minerais sont pauvres et leur exploitation difficile ; Jean Sanson, qui sera directeur de l’usine un siècle plus tard, raconte que « les minerais se rencontraient en importantes lentilles de teneur en fer très moyennes mais dont la pureté était cependant remarquable. L’exploitation était faite par des moyens tout à fait rudimentaires, à ciel ouvert ; les manutentions n’étaient pas mécanisées et les charrois se faisaient par tombereaux hippomobiles ; l’importance des écuries qu’il avait fallu prévoir pour assurer l’alimentation de l’usine était considérable et les anciens parlaient d’une équipe de 1200 ouvriers travaillant sans relâche pour exploiter ces carrières ». La faible richesse des minerais locaux obligera dès le démarrage de l’usine à en approvisionner d’autres régions françaises ou de l’étranger. C’est ainsi que douze navires arrivent à Boulogne  au cours du dernier trimestre 1857 à destination du directeur des nouveaux hauts fourneaux d’Outreau, Joseph Müller : huit viennent de Cherbourg, trois d’Espagne (Bilbao et La Garrucha), et un d’Angleterre.
L’approvisionnement de l’usine en charbons à coke et houilles était facile, les charbons anglais étant importés à bon compte d’Angleterre par le port de Boulogne, les charbons de Belgique et du Bassin du Nord par chemin de fer.
Quant à l’approvisionnement des fondants nécessaires pour régler la composition de la charge des hauts fourneaux, la construction de la ligne Amiens-Boulogne ayant révélé de puissants affleurements calcaires à Nesles, Dannes, Etaples…, il ne posait pas de problèmes. 
 
  •  Ecoulement de la production .
La fonte produite par les hauts fourneaux d’Outreau, expédiée par chemin de fer, était destinée à l’usine de Creil des Forges de  Montataire  où elle devait être transformée en fer par puddlage. On verra plus loin que la transformation de la fonte produite à Outreau ne fût pas la seule activité de l’usine de Creil : dix ans plus tard, Creil diversifiera sa production …
 
L’usine de Montataire vers 1910
 
L’usine est raccordée au chemin de fer dès le début de 1857. Fin avril, un haut fourneau est prêt à fonctionner : la mise à feu a lieu le 1 mai. L’autorisation de construction de l’usine d’Outreau de la Société de Montataire sera confirmée définitivement par un décret impérial n°560 du 17 août ; l’article trois de ce décret précise que l’usine ne pourra faire usage que de combustibles minéraux. Finalement Montataire ne construira que deux hauts fourneaux.



 
 
1857-1887. Trente ans de marche des hauts fourneaux d’Outreau de la société de Montataire.
 
Joseph Müller qui a construit les hauts fourneaux pour le compte de Montataire dirige les hauts fourneaux d’Outreau de 1855 à 1861. Conséquence d’une crise qui frappe alors l’industrie métallurgique, l’usine est arrêtée deux ans de 1860 à 1862.
Cette année là, Albert Accarain devient directeur de l’usine; d’origine belge, il est sorti  ingénieur de l’Ecole des Mines de Liège en 1846, puis a été directeur de hauts fourneaux à Limbourg dans l’arrondissement de Verviers. Vers 1865, une fonderie de fontes moulées est construite à Outreau. L’usine connaît alors une grosse activité jusqu’en 1869 (la production atteint cette année là 320 000 tonnes).
En 1867, le  rapport de l’Exposition Universelle de Paris  indique que  « la Société de Montataire comprend les hauts fourneaux d’Outreau, alimentés par les minerais crétacés du Boulonnais, et les forges de Montataire à Creil. Ces dernières sont équipées pour la fabrication des tôles et en produisent 15 000 tonnes par an environ. Outre des tôles planes et tôles ondulées pour toitures, Montataire fabrique aussi des bandages de roues laminés sans soudure et divers fers spéciaux. Des essais de  transformation directe de la fonte en acier par le procédé Bérard ont eu lieu à Creil . On ignore s’il s’agissait de convertir la fonte d’Outreau. En tout cas les essais ne sont pas couronnés de succès : il est vrai que la qualité de la fonte produite à Outreau à partir des minerais de fer du Boulonnais ne permettait pas sa conversion en acier par les procédés connus à l’époque.
A l’Exposition universelle de 1878, L’établissement d’Outreau de la Société anonyme de Montataire est qualifié de grand établissement industriel comptant cinq cents ouvriers et employant des fours à coke, deux hauts fourneaux au coke et six machines de deux cent chevaux-vapeurs  pour produire annuellement 36 000 tonnes de fontes. La capacité des hauts fourneaux a donc été considérablement augmentée depuis la création de l’usine.
 
La production des minières du Boulonnais qui de 1857 à 1877 a été de 236 0000 tonnes de minerai préparé pour la consommation au haut fourneau, décroît ensuite très rapidement (voir graphique 1, production des minières du Boulonnais de 1839 à 1887). De 1878 à 1887, année où s’arrêtent les hauts fourneaux d’Outreau, elle n’est plus que de 145 000 tonnes soit un peu plus d’une année de marche (pour neuf années de présence !)  avec deux hauts fourneaux dont la capacité annuelle en fonte a été fortement augmentée.
Les minières du Boulonnais sont épuisées ! Le recours à des minerais de fer importés a été envisagé: le port de Boulogne en  importe 21 000 tonnes par an de 1870 à 1874 et 46 272 tonnes de moyenne par an de 1877 à 1882 : après 1877, la presque totalité de ce minerai est sans nul doute destiné aux hauts fourneaux d’Outreau. Mais, dans un contexte de crise général, l’absence de justification économique de ces importations de minerais étrangers conduit inéluctablement à l’arrêt de l’usine d’Outreau en 1887. Pour comprendre la décision de Montataire, il faut se rappeler que dès 1867, les hauts fourneaux des nouvelles usines sidérurgiques envoient la fonte liquide à l’aciérie de conversion, évitant ainsi des opérations onéreuses de transport et de seconde fusion ; qu’en 1887, la Société contrôle, outre l’usine de Creil, des mines de fer et des hauts fourneaux en Lorraine où le nouveau procédé Thomas d’affinage des fontes phosphoreuses se développe rapidement depuis 1880. La stratégie initiale consistant à alimenter les fours à puddler de Creil avec de la fonte fabriquée est devenue obsolète.
Montataire et la direction de l’usine d’Outreau semblent avoir réagi à ce déclin programmé. On note dans la notice de présentation de l’usine rédigée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878 que la production a été sensiblement diversifiée ; le catalogue de fabrication annonce plusieurs qualités de fonte : « fonte forte pour affinage, fonte supérieure, fonte grise pour deuxième fusion, très-forte et très résistante, spiegeleisen ».  Mais ces efforts, autant que ceux de l’usine de Creil pour convertir la fonte en acier, resteront vains.
 
Albert Accarain qui aura été directeur des hauts fourneaux d’Outreau pendant vingt-trois ans  meurt le 20 novembre 1885: il est enterré au cimetière d’Outreau. Il est alors remplacé par son  gendre Urbain Delorme. Celui-ci, ingénieur de l’Ecole Centrale des arts et manufactures de Paris (promotion 1869) a commencé sa carrière comme ingénieur aux hauts fourneaux d’Outreau. A l’arrêt de l’usine par la Société de Montataire en 1887, il est chargé de la liquidation des stocks puis quitte Outreau en 1890.  
 
Les hauts fourneaux d’Outreau et le port de Boulogne :
Le trafic des matières et produits sidérurgiques de 1850 à 1890.
 
Selon Georges Oustric « la prospérité industrielle retrouvée au milieu des années 1850, soutient l’activité commerciale portuaire jusqu’au début des années 1880 » ;  « Jusqu’à la fin du second Empire le minerai provient exclusivement des minières locales… Outreau, Saint-Martin, Saint-Etienne et Wimille fournissent plus de 80% du minerai de bonne qualité avec une teneur en fer de 35 à 37% ; en 1870, on prévoit son épuisement d’ici dix ans à raison d’une consommation annuelle de 80000 tonnes (soit 25000 tonnes de fontes), aussi regarde-t-on vers les mines du pays Basque et Bilbao pour trouver un relais aux minières locales défaillantes ».
Des recoupements entre les données disponibles, d’une part de production des minières locales, d’autre part de production de fonte des usines du Boulonnais (Marquise et Outreau) montrent que le minerai local fait défaut dès 1860-1870 ; la pénurie s’aggrave pendant la décennie suivante malgré l’importation de minerais étrangers par voie maritime. Pour assurer les productions de fontes annoncées, il a fallu compenser le minerai local manquant par des minerais français approvisionnés par fer ou par mer (minerais d’Algérie et de Meurthe-et-Moselle pour Marquise, minerais normand  et peut-être de Lorraine pour Outreau). Tout porte donc à croire que les entrées de minerais au port de Boulogne ne se limitent pas au seul trafic d’importation des minerais étrangers après 1857 et qu’elles sont complétées par un trafic de cabotage de minerais provenant de ports français ou algériens, cabotage  dont on ne peut, faute de statistiques, chiffrer l’importance.
Quant au trafic de charbon , on sait que les importations ont augmenté de 30784 tonnes en 1854 à 184409 en 1883 suivant le rythme de la croissance de l’industrie du ciment établie à Boulogne même dès 1846 puis à partir de 1862, dans le sud du Boulonnais, notamment sous l’impulsion des familles Lonquéty et Adam… Un courant d’exportation de ciment s’établit vers le Portugal et l’Espagne  tandis que le cabotage en assure  l’expédition vers les ports français de l’Atlantique.
Le trafic portuaire des pondéreux, après  Richard et Pinart frères déjà nommés pour les minerais, est contrôlé par Alexandre Adam et Cie, principal importateur de fontes brutes anglaises, et surtout après 1850, par des maisons de commerce nouvellement créées  qui au contraire des opérateurs précédents ne s’investissent pas dans l’industrie locale.
Boulogne devient un centre bancaire . En 1858, la Banque Adam et Cie naît de la fusion des banques Alexandre Adam et Cie et  Achille Adam et fils ; Achille Adam fils en devient administrateur en 1884 ; les deux autres banques travaillent plutôt avec les armateurs à la pêche.
Lorsque s’arrêtent les hauts fourneaux d’Outreau de la société de Montataire en 1887,  deux fortes personnalités se dégagent de ces milieux d’affaires: Achille Adam et Maurice Lonquéty.
 
 
Les hauts fourneaux de la Société Métallurgique d’Outreau (1897)
 
Avec les années 1880, commence pour l’économie française, une période de dépression qui durera jusqu’à la fin du siècle. En 1878, le plan de soutien à l’économie  du ministre des travaux publics Freycinet, programmant la construction de 20000 kilomètres de voies ferrées secondaires et la réfection des canaux et voies navigables, avait stimulé les industries d’équipement, métallurgie et cimenterie.  Lorsque, après 1883, les effets du plan retombent, la récession s’installe dans ces secteurs. Dans le Boulonnais, les tentatives de reprise de l’usine de Marquise qui est en liquidation depuis 1879, s’arrêtent définitivement sur un échec en 1884 ; trois ans plus tard, Montataire ferme les hauts fourneaux d’Outreau pour dix ans. Les cimenteries qui ont bénéficié des effets du plan Freycinet, écoulant sur le marché français toute leur production, doivent trouver de nouveaux débouchés . L’exportation les leur fournit : elles écoulent  34740 tonnes en moyenne quinquennale de 1885 à 1889, les trois-quarts par le port de Boulogne. 
 
L’arrêt des usines de Marquise puis des hauts fourneaux d’Outreau déséquilibrent le trafic portuaire de Boulogne alors que les cimenteries du Boulonnais se développent à un rythme accéléré (leur production atteint près de 300 000 tonnes en 1889) et les importations de charbon d’Angleterre dont elles sont grosses consommatrices vont de pair.
 
Une idée germe alors chez quelques responsables économiques locaux : remettre en route les hauts fourneaux d’Outreau pour recréer au port de Boulogne un courant d’importation de minerais de fer espagnols (Bilbao), et faciliter ainsi l’exportation des ciments produits dans le Boulonnais. Un groupe local de banquiers et d’industriels se forme : on y retrouve Achille Adam, Maurice Lonquéty, auxquels s’adjoint un autre industriel, Ferdinand Farjon, par ailleurs le vice-président de la Chambre de Commerce de Boulogne. 
 
Boulonnais tous deux, Achille Adam (1859-1914) et Maurice Lonquéty (1859-1918)  ont joué un rôle éminent dans le redémarrage des hauts fourneaux d’Outreau : le fait qu’ils soient contemporains n’y est sans doute pas étranger. Achille Adam est né à Boulogne le 1er décembre 1859. Il est devenu en 1884, membre associé de la Banque Adam que dirige alors son père Achille Adam et le restera jusqu’en 1911 ; Homme politique, il sera député du Pas-de-Calais de 1889 à 1906. En 1897, il est un des membres fondateurs de l’éphémère Société Métallurgique d’Outreau et en novembre 1902, membre fondateur de la Société des Aciéries de Paris et d’Outreau, dont il assurera la présidence du Conseil d’administration de 1902 jusqu’en 1914.
Maurice Lonquéty, né à Boulogne le 13 mars 1859, est ancien élève de l’Ecole polytechnique et de l’Ecole des mines de Paris ( 1881-1884). C’est lui sans doute qui, à partir de 1894, anime le groupe boulonnais qui prépare le redémarrage des hauts fourneaux d’Outreau ; en tout cas, c’est lui qui avance les 150000 francs nécessaires à la constitution de la Société Métallurgique d’Outreau . En novembre 1902, il participe à la fondation de la Société des Aciéries de Paris et d’Outreau dont il souscrit le quart des actions, en devient administrateur et le reste jusqu’à sa mort.
 
La production française de fonte qui reflue depuis 1883, est en perte de 27,5% en 1886 ; elle récupère ensuite lentement et ne dépasse son précédent record qu’en 1896 avec  2 300 000 tonnes. La production d’acier, qui remplace de plus en plus le fer, passe de 554  000 tonnes en 1885 à 717  000 en 1895. La prospérité revient pour les industries métallurgiques.
Aussi le groupe Adam-Lonquéty-Farjon étudie la remise à feu des hauts fourneaux d’Outreau. Il recrute en 1895, un ingénieur civil des mines de 33 ans, Léon Joret, qui après cinq ans passés  aux hauts fourneaux de Pyle et Bridgend en Grande-Bretagne travaillait depuis 1891 aux usines de Marquise. La Société Métallurgique d’Outreau créée pour l’occasion, rachète les hauts fourneaux d’Outreau à Montataire. En juillet 1997, un haut fourneau et une partie des fours à coke sont rallumés.
Cinq mois plus tard, la nouvelle société revend l’usine d’Outreau à la Société des fers et aciers Robert dont le siège social et l’une des usines se trouvent à Paris, 149, rue d’Oberkampf. On ignore les raisons pour lesquelles la Société métallurgique d’Outreau ne connut après deux ans de préparation qu’une existence aussi brève. Peut-être voulait-on simplement remettre l’usine en route pour assurer plus facilement sa reprise par un véritable opérateur industriel de la métallurgie, ce qui se produisit effectivement.  Léon Joret qui avait remis l’usine en route quitte Outreau  à l’arrivée de la société Robert et se retire à Boulogne : il est possible qu’il y ait travaillé aux Ponts et Chaussées. 
Mais qu’était la société Robert ? Quel objectif poursuivait-elle en rachetant les hauts fourneaux d’Outreau ?
 
Les hauts fourneaux d’Outreau de la Société Gustave Robert (1897-1902).
 

Gustave Robert est issu d’une vieille famille de sidérurgistes. Son grand-père avait racheté vers 1820, la forge de Remmelsdorf située près de Bouzonville à la frontière franco-sarroise. Cette forge a été décrite en 1786 par Philippe-Frédéric de Dietrich, dans sa Description des gîtes de minerai, forges… de la Lorraine méridionale. Gustave Robert, ingénieur diplômé de l’Ecole centrale des arts et manufactures en 1859, en avait pris la direction en 1865 lorsque son père s’était retiré des affaires. Il la dirige jusqu’en 1882, année où, après l’avoir mise en location, il quitte la Lorraine annexée et est engagé comme directeur par la Société des hauts fourneaux, fonderies, forges et laminoirs de Stenay dans les Ardennes.
La situation de Stenay présente alors beaucoup d’analogie avec l’usine de Creil de Montataire. Sans haut fourneau,  l’usine produit du fer qu’elle lamine ou qu’elle forge  en puddlant des fontes qu’elle achète à l’extérieur ; elle produit aussi au cubilot des fontes de seconde fusion qu’elle vend en gueuses ou sous forme de pièces moulées. Mais ses prix de revient sont trop élevés et Stenay risque la fermeture. Pour augmenter la valeur ajoutée de sa production, elle cherche à remplacer le puddlage par un procédé d’affinage de la fonte , adapté à la coulée et au moulage de petites pièces en acier. Le procédé existe mais son réglage est très difficile et la qualité des moulages obtenus est inacceptable :  selon les  fondeurs de Stenay, « le métal est tellement souffleux que les pièces ne pesaient pas la moitié de leur poids ». Au cours des essais, Robert découvre les conditions idéales et dépose un brevet d’invention pour un « convertisseur à soufflage latéral » en 1885 ; des brevets d’addition suivent en 1887 et 1888.  

 

L’usine de Stenay est bientôt équipée de quatre de ces convertisseurs. Ce succès est vite connu dans la profession et dès 1888, quatre sociétés française et étrangères  achètent la licence du procédé Robert. L’Exposition Universelle de Paris en 1889 apporte la consécration: « l’appareil Robert est le seul qui soit maintenant adopté d’une manière générale, il figurait seul à l’Exposition dans la fameuse galerie des machines ». La renommée de Gustave Robert s’étend en France et à l’étranger  ; la vente de licences d’exploitation et la création de fonderies d’acier font sa fortune. En avril 1890, Stenay disparaît en tant que société, pour laisser la place à la  Société anonyme des fers et aciers Robert . Robert devient administrateur-délégué et installe  le siège social de la nouvelle société rue d’Oberkampf à Paris. En 1891, il crée une fonderie d’acier à Lens pour fournir les charbonnages, gros consommateurs d’acier moulé. En 1892, il équipe en fonderie d’acier une usine de Nantes que sa société absorbera bientôt. L’année suivante, la société Robert rembourse par anticipation un million et demi de francs d’obligations émises cinq ans plus tôt. A la fin des années 1890, elle profite de la grande prospérité des affaires en Allemagne et en France. C’est dans ces circonstances que, sans doute pour s’assurer un approvisionnement régulier de fonte au niveau de qualité réclamée par son procédé,  Robert rachète le 23 décembre 1897, les hauts fourneaux de la Société Métallurgique d’Outreau. L’usine est vétuste et sa  technique est complètement dépassée, surtout après dix ans d’abandon ; elle nécessite d’urgence des investissements importants.    

  Robert se lance donc dans un vaste programme de travaux neufs dans le cadre duquel les hauts fourneaux et leurs annexes sont reconstruits, agrandis, avec des performances améliorées. La cokerie modernisée a une capacité de production sensiblement supérieure à la consommation des hauts fourneaux. Trois  grues de déchargement sont installées au port de Boulogne. Le gaz de haut fourneau est récupéré pour la production d’énergie et on envisage à court terme la production d’électricité dont on vendra le surplus aux usines voisines, au Port et à la Ville de Boulogne. En 1900, les investissements réalisés à l’usine d’Outreau atteignent 1.25 millions de francs.En 1900, l’agrandissement de la gare de Lens et l’expropriation des terrains occupés par la société entraîne la fermeture de la fonderie  ; Robert décide de démonter l’installation et de la remonter à Outreau au pied des hauts fourneaux  ; au mois de juillet 1901, ce sera chose faite (c’est l’origine de la fonderie d’acier à Outreau  ).

 Et le programme de travaux neufs se poursuit A ces investissements considérables s’ajoutent des frais d’établissement extrêmement importants, notamment le fonds de roulement nécessaire au fonctionnement d’une usine capable de produire annuellement, 36000 à 40000 tonnes de fontes brutes et 100000 tonnes de coke. Les  achats de charbon et de minerai pèsent sur la trésorerie. Les dettes s’accumulent lorsque la conjoncture se retourne. La crise débute en 1900 et atteint son maximum en décembre 1902. L’industrie de l’acier moulé est sévèrement touchée ; les prix de vente s’effondrent. Pendant toute l’année 1901, Robert se débat dans une situation très difficile et se décide en fin d’année à recourir au marché financier.  Un emprunt obligataire est lancé le 5 janvier 1902, mais l’émission vient trop tard et ne donne pas les résultats attendus  ; la société Robert et Cie doit déposer son bilan.  Le 5 février 1902, Gustave Robert se suicide à son domicile parisien, rue Oberkampf.  Malgré son dénouement tragique, l’intermède de la Société Robert et Cie aura des effets très positifs pour les hauts fourneaux d’Outreau . Meilleur ingénieur que financier,  Robert laisse une usine modernisée (les actifs de la société seront comptabilisées au moment du dépôt de bilan pour 8.5 millions de francs), et son collaborateur le plus proche, Louis-Auguste Tissot, se révèlera bientôt remarquable administrateur. Personnage haut en couleur (cinquante ans après sa mort, le personnel du siège social de la rue d’Oberkampf évoquera encore ses départs pour le bois en fin de matinée en attelage à quatre chevaux), Robert dirigeait seul une société à structure familiale ; Tissot vivait dans son ombre sans pour autant intervenir dans la gestion de la société. Comme l’éphémère existence de la Société Métallurgique d’Outreau d’Alexandre Adam et de Maurice Lonquéty, les années suivantes montreront que le passage de Robert aura été une chance pour les hauts fourneaux d’Outreau.

 

 

 

Louis-Auguste Tissot (1863-1919)

Louis-Auguste Tissot  naît le 6 août 1863 à Decazeville où son père ingénieur civil des mines est en poste. Sorti de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures en 1886 avec le diplôme de métallurgiste, il est embauché comme chef de laboratoire par les Forges et aciéries de Stenay où Robert vient de mettre au point son procédé. Robert quitte Stenay pour Paris A vingt-cinq ans, Tissot se retrouve sans expérience chef de la fonderie d’acier de Stenay. Il se forme rapidement à la nouvelle technique et quand Stenay rachète en 1889, la fonderie de Paris, rue Oberkampf, il en est nommé directeur.

Tissot vit alors dans l’ombre de Robert, occupant dans la société une place de plus en plus importante. Il installe le procédé dans de nombreuses fonderies d’acier en Russie, en Espagne, en France  : à Nantes, Tourcoing, Marseille… et devient directeur de la société, c’est-à-dire des quatre usines de Stenay, Paris, Lens et Nantes. A partir de 1894, il est le plus proche collaborateur de Robert, et lorsque celui-ci rachète les hauts fourneaux d’Outreau en 1897, il est associé aux études de modernisation de l’usine et se forme ainsi à de nombreuses techniques  qu’il n’a fait que découvrir à l’Ecole centrale. En 1899, il épouse à Brive, Louise Labrousse dont le père, propriétaire terrien, est sénateur et chevalier de la légion d’honneur. A partir de 1902, gérant provisoire de la Société en liquidation, sa vie professionnelle se confond avec celle de la Société anonyme des Aciéries de Paris et d’Outreau créée pour reprendre les usines d’Outreau et de Paris ; il en devient le premier  administrateur-délégué. Chevalier de la légion d’honneur en 1905, il meurt à cinquante six ans en 1919, victime de  la grippe espagnole. Tissot est l’homme clé des orientations futures qui permettront aux hauts fourneaux d’Outreau de devenir une entreprise internationale.

 

 

1902-1978 . Les hauts fourneaux d’Outreau et de Boulogne-sur-mer de la Société anonyme des Aciéries de Paris et d’Outreau.

 

Dans le cadre de la gérance provisoire de la Société des fers et aciers Robert en liquidation, Tissot décide le 31 mars, l’arrêt et la mise en vente des usines de Stenay et de Nantes, la concentration de la production d’acier moulé à Paris, rue d’Oberkampf et à Outreau (où l’usine de Lens reconstruite fonctionne depuis le début de l’année), et la poursuite de la fabrication de coke et de fonte aux hauts fourneaux d’Outreau. Un groupe financier se constitue dans le but de reprendre les usines d’Outreau et de Paris ; il est formé d’Achille Adam et Maurice Lonquéty, qu’on retrouve cinq ans après l’épisode de la Société Métallurgique d’Outreau, et de négociants parisiens, Joseph et Louis Laveissière. Le 26 novembre, une assemblée générale constitutive crée la Société anonyme des Aciéries de Paris et d’Outreau au capital de 1.25 millions sous forme de 2500 actions de 500 francs. Ce capital, dont 52% est d’origine boulonnaise, est apporté par la société Joseph Laveissière et fils (36%), Maurice Lonquéty (26%), la banque Adam (24%) et Achille Adam pour cinquante actions, la Société Escaut et Meuse  pour 150, et quelques individualités pour le reste.   L’assemblée nomme un conseil de six membres : Achille Adam, Louis-Auguste Tissot, Joseph et Louis Laveissière, Maurice Lonquéty et un industriel belge allié des Laveissière, Chaudoir ; le conseil nomme Achille Adam président, et Tissot administrateur-délégué et secrétaire. Il décide également pour financer les dépenses courantes,  l’émission d’un emprunt obligataire de 1.25 millions de francs.

Dès ses premières délibérations, le conseil exprime sa volonté de suivre au plus près les grands engagements de dépenses (notamment les achats de matières premières) et l’évolution de la trésorerie de la société ; c’est l’absence de contrôle sur ces deux postes, en plus de sa gestion imprudente, qui  avait causé la faillite de la Société Robert.

 

La société Joseph Laveissière et fils. 

Jean-Joseph et Louis-Jean Laveissière dirigent à Paris la Société Joseph Laveissière et fils, société en commandite simple au capital de 5 millions de francs et sa filiale, la Société anonyme Escaut et Meuse, société anonyme au capital de 4 millions de francs. La société Escaut et Meuse a été créée en 1882 pour fabriquer des tubes. Elle a beaucoup mieux supporté la crise de la fin du XIXème siècle que  la plupart des entreprises sidérurgiques, connaissant de 1882 à 1894 un taux de croissance exceptionnel; de 1882 à 1913, sa production passe de 1800 à 33000 tonnes. Joseph Laveissière et Chaudoir en assurent la direction financière.

Les sièges sociaux de ces deux sociétés se trouvent rue de l’arcade à Paris où sera convoquée le 17 novembre 1902, l’assemblée générale constitutive de la Société Anonyme des Aciéries de Paris et d’Outreau dont Joseph et Louis Laveissière sont administrateurs fondateurs.

 

Les Aciéries de Paris et d’Outreau de 1902 à 1905. Outreau, usine à fonte.

De 1902 à 1905, les délibérations du conseil  portent sur la marche des usines, renseignant de façon sommaire sur leurs résultats, sur les contrats d’approvisionnement importants (charbons et minerais),  sur l’écoulement des produits (état du carnet de commandes, prix du marché, état des stocks…), sur les contrats exceptionnels et sur les travaux neufs. Les procès-verbaux des séances révèlent un conseil extrêmement attentif et présent, décidant des achats de charbon et de minerai, d’une éventuelle modification des prix de vente, et,  le cas échéant des administrateurs s’engageant financièrement et personnellement.

C’est que les Aciéries de Paris et d’Outreau, n’échappent pas à la fin de l’année 1902 à la crise qui secoue les industries françaises et allemandes depuis deux ans et qui atteint alors son paroxysme. La consommation de moulages d’acier s’est fortement réduite et la concurrence des 12 fonderies nouvelles créées entre 1898 et 1899 a provoqué un effondrement des prix ; et concurrençant les hauts fourneaux d’Outreau, une usine à fonte créée près de Bordeaux à Pauillac, produit 3000 tonnes par mois de fontes hématites qu’elle vend à perte en cassant les prix. La déclaration de guerre russo-japonaise  perturbe profondément les marchés ; les prix de l’acier moulé et de fontes sont au plus bas. Le stock de fontes d’Outreau augmente ; il atteint un maximum à fin octobre 1904 avec 2500 tonnes, pesant lourdement sur la trésorerie. La mévente de la fonte qui se prolonge jusque dans les premiers mois de 1905, pose de sérieux problèmes de trésorerie, résolus chaque fois par des avances des administrateurs : 50000 francs par Adam et Cie en juin 1904, 50000 francs chacun par Achille Adam, Maurice Lonquéty et Laveissière en septembre. Les premiers mois 1905 sont difficiles. 100000 francs sont nécessaires pour quelques travaux neufs  ; mais comme ils ne sont pas financés, on se sert du fonds de roulement et en attendant l’assemblée générale, Laveissière prête 20000 francs . Le financement des travaux neufs est rediscuté quatre mois plus tard ; Lonquéty voudrait qu’on les reporte, mais Laveissière consent une nouvelle avance.. En juin 1905, Laveissière avance 12000 francs pour une dépense urgente et Lonquéty reconduit son avance de 50000 francs pour trois mois. 

Les délibérations du Conseil pendant ces premières années d’exercice montrent sa volonté de mener une politique commerciale dynamique, d’achever le programme de travaux neufs et de reprendre l’entretien des usines négligé par l’ancienne administration, de valoriser l’énergie excédentaire à ses propres besoins, produite par les hauts fourneaux d’Outreau.

Une augmentation de la production, l’élargissement de la clientèle, sont recherchés pour faire face à des frais généraux incompressibles. Le programme de travaux neufs de l’année 1903 est important et comporte notamment la révision d’un haut-fourneau : les dépenses correspondantes sont couvertes par les obligations créées.

Tous les besoins en énergie  de l’usine d’Outreau peuvent être assurés par le gaz de cokerie et une partie du gaz de haut fourneau ; le solde du gaz de haut fourneau permettra, à l’aide de moteurs à gaz, la production d’électricité  qui sera vendue à la Société d’éclairage électrique du Boulonnais. La société est liée par contrat avec cette dernière mais est incapable en 1902 de répondre à sa demande de puissance. La situation s’améliorera progressivement et fin 1905, la Société achètera 354 actions de la Société d’éclairage électrique du Boulonnais dont Tissot deviendra administrateur.

 

Les premiers exercices sont donc difficiles. La perte au premier semestre 1903 atteint 55000 francs ; le compte de résultat mensuel ne devient légèrement positif qu’en fin d’année. En 1904, les résultats mensuels de l’exploitation sont globalement positifs. En 1905, les prix de la fonte remontent et au second semestre, il n’est plus question de problèmes financiers dans les séances du Conseil. Les trois premières années d’existence de la Société des Aciéries de Paris et d’Outreau se terminent donc sur un retournement de conjoncture et une consolidation de la situation financière. La modernisation de l’usine d’Outreau est achevée  : le Conseil n’en a pas encore délibéré mais depuis juillet, il est question d’y fabriquer du ferromanganèse.

 

Les hauts fourneaux d’Outreau de 1906 à 1919 :  création et développement d’une fabrication de ferromanganèse

 

Il faut attendre la séance du conseil du 8 décembre 1905, pour que le procès-verbal fasse mention de contacts avec la « Société anonyme de l’éclairage au gaz, des hauts fourneaux et fonderies de Marseille et des mines de Portes et Sénéchas».

En 1905, les hauts fourneaux de Saint-Louis restent  seuls des trois usines pionnières qui, en première mondiale, ont créé en France, trente ans plus tôt, la fabrication du ferromanganèse au haut fourneau. La crise de l’industrie sidérurgique de la fin du XIXe laisse Saint-Louis seul producteur français, assumant après 1890 un monopole précaire et une situation difficile ; les coûts de transport de ses produits vers une  clientèle sidérurgique qui se déplace vers la Lorraine et le Nord  augmentent. Saint-Louis qui alimentait auparavant les usines sidérurgiques de la Loire et du Centre ne peut lutter contre des producteurs de ferromanganèse qui se sont installés dans des pays  bénéficiant de prix de houille et de coke  plus faibles qu’en France, en Angleterre surtout.  L’usine a bien songé à se déplacer plus au nord mais a reculé, semble-t-il, devant les investissements nécessaires : la société qui a également pour objet l’éclairage au gaz (de la ville de Marseille) doit se reconvertir au début du XXe siècle à l’éclairage urbain électrique. Dès juillet, des contacts ont eu lieu entre administrateurs ; Saint-Louis a laissé entendre qu’il s’apprêtait à abandonner la fabrication du ferromanganèse et a promis à Louis Laveissière de fournir à Outreau, moyennant une rétribution à définir, son concours moral et technique.. Dans ces conditions, la production de fonte à Outreau n’engageant qu’un seul haut fourneau, le Conseil décide d’y créer la fabrication du ferromanganèse ; il  demande à Tissot un rapport d’ensemble sur l’intérêt de cette nouvelle fabrication et à Bernard, directeur de l’usine d’Outreau, un rapport technique.Il constate au vu de ces rapports que l’affaire, étudiée de leur côté par les ingénieurs et  l’administrateur délégué des hauts fourneaux de Saint-Louis, est avantageuse.

Les personnalités invitées à la mise à feu du haut fourneau déménagé de Marseille ( 1906)

L’affaire est définitivement mise au point en janvier 1906. Les Hauts fourneaux de Saint-Louis apportent leur savoir-faire et la compétence de leur personnel, garantissant ainsi un démarrage sans aléas ; ils apportent une clientèle fidèle, et une partie des matériels nécessaires, faisant gagner deux mois sur le délai d’installation. En échange, ils reçoivent 150000 francs en actions d’apport dans l’augmentation de capital lancée pour l’établissement à Outreau de cette fabrication qui « sera considérée comme la suite de celle de la Société de Marseille ». La formule, probablement due à Achille Adam,  est reprise dans les procès-verbaux des séances du Conseil et de l’Assemblée générale : elle traduit le climat de confiance qui s’est établi entre les deux sociétés. Des administrateurs de la société marseillaise et quelques-uns de leurs amis achètent personnellement des actions des Aciéries de Paris et d’Outreau, et souhaitent voir M.Cornuault entrer au Conseil de la société ; le Président et les membres du Conseil s’empressent de satisfaire ce souhait. Emile Cornuault est élu administrateur par l’Assemblée générale ; à la séance suivante le conseil le nomme vice-président sur proposition du président Achille Adam.

Emile Cornuault (1846-1917)

Ancien élève de l’Ecole Centrale des arts et manufactures de Paris dont il sort en 1869, Emile Cornuault commence sa carrière aux Hauts fourneaux de Frouard en Meurthe-et-Moselle, qui font, peut être, déjà partie du groupe Montataire.  En 1874, il devient secrétaire de la Société anonyme de l’éclairage au gaz, des hauts fourneaux et fonderies de Marseille et des mines de Portes et Sénéchas, appelé par Sanson Jordan, son ancien professeur de métallurgie à l’Ecole Centrale, qui crée à l’époque, la métallurgie du ferromanganèse aux hauts fourneaux de Saint-Louis. Ingénieur, directeur, il est administrateur délégué de la société  en 1905.

En 1874 toujours, il participe à la fondation de la Société technique de l’industrie du gaz, en devient vice-président en 1887 et président en 1888. Il préside le congrès de l’industrie du gaz à l’Exposition universelle de 1889, fait partie de la commission organisatrice du Palais de l’Industrie du gaz, est rapporteur auprès du jury international. En 1891, il est nommé chevalier de la  légion d’honneur pour services exceptionnels rendus à la ville de Paris dans le Conseil d’administration de la Société du gaz de Paris. Il prend une large part dans le développement de l’industrie du gaz en France et présente de nombreuses communications dans les congrès nationaux et internationaux de cette industrie et représente la France dans les expositions étrangères. Mais, il est aussi l’un des premiers à pressentir l’avenir de l’électricité, participant aux premiers Congrès des électriciens en 1881 et 1883 qui voient  les premières applications pratiques de l’électricité.

Très au fait des industries gazières, métallurgiques et minières, il est en 1905, la personne la plus compétente pour résoudre les problèmes qui se posent à la société marseillaise : renouveler avec la ville de Marseille une concession de fourniture de gaz étendue à l’électricité et résoudre les problèmes des Hauts fourneaux de Saint-Louis ; c’est alors qu’il rencontre Tissot. Il n’est pas douteux que ses connaissances aient été fort utiles et appréciées  à l’usine d’Outreau, que le développement des productions et bientôt la fabrication de ferromanganèse allaient rendre l’entreprise un peu plus excédentaire en énergie. Vice-président des Aciéries de Paris et d’Outreau en 1906, il en sera président de 1915 à 1917.

 Au cours du premier semestre 1906, le conseil accepte une proposition d’étude de la récupération des sous-produits des fours à coke de la Compagnie des Mines de Dourges. La demande d’énergie électrique de la Compagnie d’éclairage électrique du Boulonnais est en constante augmentation et l’usine d’Outreau toujours en retard d’un équipement achète des matériels d’occasion souvent mal adaptés : en conséquence, le Conseil décide de faire étudier le futur bilan énergétique de l’usine d’Outreau, après mise en route de la fabrication de ferromanganèse.Le transfert de la fabrication de ferromanganèse d’une usine à l’autre est si bien préparé que le haut fourneau déménagé de Marseille à Outreau est remis à feu le 21 août 1906 à 15 heures, «avec le concours de M.Clerc, ingénieur de la Société des hauts fourneaux de Marseille et du personnel de ces hauts fourneaux». Monsieur Cornuault rend compte de l’opération «qui a été faite avec un plein succès en présence de quelques personnalités administratives de Boulogne-sur-mer et des environs que nous avions pu réunir»

A cette réussite technique correspond une réussite commerciale ; les deux sociétés  avaient pris les dispositions nécessaires pour qu’il n’y ait aucune rupture de livraison de ferromanganèse à la clientèle française. En 1907, six mois après le démarrage du haut fourneau,  Outreau fournit plus de 50% de la consommation française. Déjà, Le Conseil évoque la marche à trois hauts fourneaux. La vocation exportatrice des hauts fourneaux d’Outreau naît très rapidement ; en décembre 1909, un contrat de vente de 5000 tonnes de ferromanganèse  est signé avec la Iron Ford Company de Montréal à 220 francs FOB Boulogne. En 1913, trois hauts fourneaux sont en marche dont deux en ferromanganèse. Jusqu’en 1916, année où se ferme  la source qui nous a renseigné depuis 1902,  les hauts fourneaux d’Outreau connaissent une marche sans histoire. Un document concernant l’année 1911 laisse penser que les résultats techniques de la fabrication de ferromanganèse, ou bien ont été meilleurs que ceux de l’étude prévisionnelle, ou bien se sont améliorés rapidement : la mise au mille de coke  est de 2000 kilos en septembre-octobre pour 2500 kilos prévus Les exercices annuels se succèdent, largement bénéficiaires. La société porte son capital à  six millions de francs en 1910. L’année suivante, le Conseil met à l’étude un quatrième haut fourneau de 100 tonnes-jour, un projet de fabrication de silicomanganèse au four électrique qui consommerait le solde de l’énergie électrique produite par l’usine… , et l’achat d’une mine de fer aux Indes.

En septembre et octobre 1911, deux hauts fourneaux sont en marche. Le premier produit de la fonte hématite à raison de 60-65 tonnes par jour, le second, 33-36 tonnes par jour de ferromanganèse en consommant 2060 kilos de coke par tonne. Les fours à coke produisent alors 138 tonnes de coke par jour dont 70% de gros coke.

En janvier et février 1912, deux hauts fourneaux sont en marche. Le premier produit de la fonte hématite à raison de 67-68 tonnes par jour, le second, 34-35 tonnes par jour de ferromanganèse en consommant 2010 kilos de coke par tonne. Les fours à coke produisent alors 140 tonnes de coke par jour dont 69-70% de gros coke. On remarque que la production mensuelle de gros coke est sensiblement ajustée sur la consommation.

En 1913, deux hauts fourneaux produisent du ferromanganèse toute l’année ; la production de ferromanganèse d’Outreau atteint 24000 tonnes soit 66% de la consommation française ; on vise pour les années suivantes, 30000 et 37000 tonnes.

Le 24 septembre 1915, Emile Cornuault, ancien administrateur de la Société anonyme de l’éclairage au gaz, des hauts fourneaux et fonderies de Marseille, et des Mines de Portes et Sénéchas, est nommé président du Conseil d’administration des Aciéries de Paris et d’Outreau, en remplacement d’Achille Adam, décédé en décembre de l’année précédente. Il décède lui-même en novembre 1917. Son fils André Cornuault, devient secrétaire du Conseil d’administration, puis administrateur. 

En 1919, Louis-Auguste Tissot  meurt à cinquante-six ans, victime de la grippe espagnole.

 

 

Les hauts fourneaux d’Outreau de 1919 à 1952 .

D’une après-guerre à l’autre, des années difficiles.

 

Tissot est remplacé comme administrateur-délégué par Charles Wigny, son adjoint depuis un an. Charles Wigny est né en Belgique en 1877. Ancien élève de l’Ecole des  mines de Liège, il a été ingénieur puis chef de la division hauts fourneaux de Cockerill-Liège de 1900 à 1914. Il est engagé par les Aciéries de Paris et d’Outreau début 1918 pour seconder M.Tissot à Paris, devient administrateur délégué un an plus tard ; il dirigera la société jusqu’en 1948.

 

L’usine dont l’entretien avait été très insuffisant pendant la première guerre mondiale se rénove et se modernise, produisant fontes hématites et ferromanganèse. En France en 1930, la production annuelle française de ferroalliages de manganèse est de 60000 tonnes dont 25000 à Outreau, 13000 à Pompey en Lorraine et 6000 à l’usine du Boucau des Forges de la marine. L’entre-deux guerres voit donc un développement de la concurrence française, en même temps qu’une pratique courante dans les usines sidérurgiques qui consiste à fabriquer dans des hauts fourneaux en fin de campagne, le ferromanganèse destiné à leur consommation.

vue aérienne 1925

Mais en 1930, la grande crise s’installe progressivement. Les fours à coke sont arrêtés et le coke métallurgique est acheté en France, en Belgique ou en Allemagne. Sur quatre hauts fourneaux existants et trois normalement à feu, un seul est en service, arrêté les samedis et dimanches. La sortie de crise est longue et difficile : en 1935, deux hauts fourneaux seulement sont en marche produisant fontes, spiegel et ferromanganèse. En 1936, l’usine est occupée pendant un mois après un arrêt brutal et sans préparation des hauts fourneaux.

En 1938, les capacités de production des quatre hauts fourneaux vont de 75 à 100 tonnes par jour de ferromanganèse ou 150 à 200 tonnes par jour de fonte d’affinage. Grâce aux appareils réchauffeurs de vent modernes (ils sont capables de porter le vent soufflé à une température de 950°) équipant trois des  hauts fourneaux, la consommation spécifique de coke est descendue à 1650 kilos par tonne de ferromanganèse. La fonte est coulée sous halle, en sable pour le ferromanganèse et le spiegel, en lingotières pour la fonte. Cassage et enlèvement des gueuses se font à la main.La guerre éclate en 1939 et l’usine est complètement arrêtée en mai 1940. Jean Sanson, chef du service hauts fourneaux depuis 1930, demeure à Outreau pour protéger autant qu’il est possible le matériel. En 1942, il réussit à l’insu de l’occupant,  à organiser le transfert à Valenciennes de 10000 tonnes de minerai de manganèse qui sont restées cachées  dans l’usine et à les transformer en ferromanganèse à 45% dans les hauts fourneaux des Aciéries du Nord et de l’Est. De retour à Outreau il assiste en 1944 à la libération de Boulogne-sur-Mer et de sa région. En août 1944, le directeur de l’usine Henri Grèze meurt brutalement. Jean Sanson est alors nommé directeur de la division hauts fourneaux. En même temps à Paris, Henri Noual attaché à la Direction générale depuis 1926, devient directeur-général-adjoint et président quatre ans plus tard.

Si les hauts fourneaux ont été peu touchés par les bombardements, ils ne sont plus qu’un amas de ferrailles rouillées, hors d’état de marche. Le personnel a fui dans la campagne, parfois fort loin.

Malgré tout, une remise en route rapide s’impose pour éviter la concurrence qui s’annonce.. Un turbo-alternateur est mis en route en décembre 1944, suivi par un premier haut fourneau le 25 mai 1945, puis un second le 28 août 1946.  Ces appareils, bouchés en 1940, ne pouvaient assurer une longue campagne : ils permettent cependant la reconstruction à neuf des deux autres hauts fourneaux.

Les premières rames de coke arrivent en mars 1945, en provenance de Dourges. Le minerai de fer surtout espagnol, arrive par train ;  les premières expéditions par mer sont réceptionnées à Calais en novembre 1946, à Boulogne en août 1949. Mais de 1946 à 1949, les hauts fourneaux traitent surtout des minerais de fer et de manganèse de Chaillac dans l’Indre où la société possède des minières, et des cendres de pyrite provenant d’usines chimiques régionales.

 

1950-1978. Les Aciéries de Paris et d’Outreau deviennent un producteur d’envergure internationale.

De 1952 à 1974, la production mondiale d’acier brut passe de 213 millions de tonnes à 708 millions. La Société des Aciéries de Paris et d’Outreau accompagne cette formidable croissance et devient le premier producteur mondial de ferromanganèse[1] ; sous la direction de son président Henri Noual, Jean Sanson et son adjoint Pierre des Rochettes seront à Outreau puis à Boulogne, les artisans d’un développement continu de l’usine.

A sa sortie de l’Ecole Polytechnique en 1922, Henri Noual (1899-1985) passe deux ans à l’Ecole d’application du Génie. Il quitte l’armée en 1926 pour entrer aux Aciéries de Paris et d’Outreau comme ingénieur adjoint à la direction : jusqu’en 1948, il est le bras droit du Président directeur général M.Wigny; directeur général adjoint en 1944, il devient Président directeur général en 1948.

Jean Sanson (1900-1980). Son père est ingénieur des ponts et chaussées, puis directeur des ports de Calais et de Boulogne où une écluse porte son nom. Ingénieur de l’Ecole centrale de Paris en 1923 et après son service militaire dans l’arme du Génie, Jean Sanson revient dans sa famille qui habite alors Boulogne. Il commence une carrière d’ingénieur  à la Compagnie Béthunoise d’Energie Electrique. Fin 1925, il écrit au Directeur général des Aciéries de Paris et d’Outreau pour poser sa candidature. Charles Wigny l’engage comme ingénieur au service Hauts Fourneaux où il fait ses premières armes en rétablissant la situation de l’unité d’agglomération de minerais fins construite en 1919 et qui n’avait jamais vraiment bien marché. Il est nommé chef du service hauts fourneaux en 1930 à la place du titulaire démissionnaire.

L’usine est complètement arrêtée en mai 1940, pour cinq ans. Jean Sanson demeure à Outreau pour protéger autant qu’il est possible le matériel ; les centrales électriques ont été réquisitionnées par l’occupant. A l’insu de ce dernier, il réussit en 1942, à organiser le transfert à Valenciennes d’un lot de 10 000 tonnes de minerai de manganèse qui était resté  caché  dans l’usine et à le transformer en ferromanganèse à 45% dans les hauts fourneaux des Aciéries du Nord et de l’Est. Alors que Boulogne et sa région sont libérées, le directeur de l’usine Henri Grèze meurt brutalement. Jean Sanson est alors nommé directeur de la division hauts fourneaux de l’usine ; en 1958, il devient directeur  de l’ensemble de l’usine d’Outreau.

Membre de l’Association Technique de la Sidérurgie, il est pendant quelques années, président de la commission « Hauts Fourneaux autres que Thomas ». Chevalier de la légion d’honneur en 1961. Il prend une retraite anticipée à la fin de l’année 1962 et devient Ingénieur-conseil de la société.

La carrière de Pierre des Rochettes, ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris, commence aux hauts fourneaux d’Outreau à la veille de la deuxième guerre mondiale. Mobilisé, il ne les retrouve qu’après quatre ans de captivité, et devient chef du service hauts fourneaux.

 

La fabrication des fontes hématites est abandonnée en 1950 au profit du ferromanganèse dont la demande va croissant. L’usine enfume la vallée de la Liane, nécessitant l’augmentation des moyens d’épuration du gaz de haut fourneau. Le dernier haut fourneau à chargement manuel est mécanisé ; l’emploi de chevaux pour évacuer le ferromanganèse des halles de coulée a disparu. En 1951, la marche à quatre hauts fourneaux devient possible après l’installation de deux appareils cowpers supplémentaires capables de réchauffer le vent à 1200°.  On installe une machine à couler pour mécaniser l’enlèvement des fontes. Des améliorations de construction permettent de prolonger la tenue en service des hauts fourneaux.

Mais la sidérurgie demande de plus en plus de ferromanganèse. Grâce à l’installation de machines soufflantes plus puissantes et d’une centrale de production d’oxygène destiné à enrichir le vent soufflé, la production journalière qui est de 250 tonnes début 1952, atteint trois ans plus tard 380 tonnes. En 1956, quatre hauts fourneaux en marche assure une production journalière record de 470 tonnes.  La production d’énergie électrique a augmenté en conséquence et le réseau de l’usine est mis en parallèleavec celui d’EDF. En 1956 on envisage déjà l’installation de hauts fourneaux au port de Boulogne-sur-mer.

Grâce au soufflage de vent enrichi en oxygène, la consommation de coke baisse et on termine l’année 1957 avec 13000 tonnes produites de plus que l’année précédente sans augmentation de la consommation de coke. En novembre, avec quatre hauts fourneaux en marche, la production journalière de ferromanganèse atteint 499 tonnes de ferromanganèse. Une période de récession permet la reconstruction l’année suivante du haut fourneau 2 dans une conception nouvelle qui permettra d’y produire 175 à 180 tonnes par jour; il est rallumé l’année suivante.

 C’est en 1957 que commencent les travaux de construction de l’appontement minéralier qui constitue le môle est de la darse du port de Boulogne. L’appontement minéralier qui est réalisé et financé par les Aciéries de Paris et d’Outreau, est mis en service en 1961. Il permet la réception de minéraliers de 25000 à 30000 tonnes de port en lourd qui remplacent les navires précédemment reçus au Bassin Loubet et dont les cargaisons étaient limitées à 7000 tonnes. Le déchargement des minéraliers se fait à une cadence de 1000 tonnes par heure ; le minerai peut être, ou mis sur le parc de la nouvelle usine du port , ou expédié par fer à l’usine d’Outreau. A partir de 1962, les portiques de déchargement du minerai sont équipés pour la mise en cale des ferro-alliages . L’exportation du ferromanganèse par voie maritime se développe ; le cabotage international remplace le fer pour la Hollande, l’Allemagne et l’Europe du nord ; cinq ans plus tard, plus de cinquante navires par an viennent prendre livraison de lots de  ferroalliages de quelques centaines à quinze mille tonnes.

Le haut fourneau 5 programmé pour atteindre une production journalière de 300 tonnes, est mis à feu en 1961.  Cinq ans plus tard, la capacité de l’usine du port est doublée par un sixième haut fourneau.

Vue aérienne des Usines en 1965

Une longue grève affecte les résultats de la division hauts fourneaux en 1967 ; la société qui a porté deux ans plutôt son capital de 26 à 32.5MF ne distribue pas de dividendes. En 1968, trois semaines de production sont encore  perdues.

Les aciéries de Paris et d’Outreau exportent alors près de 80% de leur production. La compagnie américaine, U.S.Steel Corporation, premier producteur d’acier aux Etats-Unis est un client très important. En 1970, à l’occasion d’une augmentation de capital par émission d’actions nouvelles, la compagnie américaine entre au capital de la société  «en contrepartie d’un contrat commercial de longue durée assurant… le débouché aux conditions du marché international d’une partie importante de la production de nos hauts fourneaux ». 

En 1970, on constate une certaine pénurie de coke métallurgique : son prix double en cours d’année ; premier signe sans doute d’une surchauffe de l’industrie sidérurgique mondiale dont les experts prédisent qu’elle produira un milliard de tonnes d’acier en 1980. Mais tous les sidérurgistes sont convaincus de la justesse de cette prévision, et  les Aciéries de Paris et d’0utreau suivent leur clientèle…

La construction d’une troisième unité de production située au Port de Boulogne et comprenant deux hauts fourneaux et une extension de l’appontement minéralier est décidée.  La premier haut fourneau et ses annexes sont en construction. Pour satisfaire les besoins en oxygène des hauts fourneaux d’Outreau qui fabrique depuis 1962 du silicomanganèse, une nouvelle centrale de production est construite ; elle est bientôt reliée par oxyduc à l’usine du port.

Les hauts fourneaux du port en 2003  ( source : www.hfinster.de )

Si les performances techniques sont satisfaisantes, les indices économiques le sont moins. Tous les éléments du prix de revient du ferromanganèse: coke métallurgique, minerais, salaires, sont en hausse. La politique économique américaine et le désordre monétaire ont un effet défavorable sur les ventes de ferromanganèse à l’exportation. Une baisse de conjoncture en fin d’année ne permet pas le report des hausses du coût de production sur les prix de vente.

 Pour financer ses investissements la société augmente son capital de 53,7 à 75,18 MF.  On apprend à cette occasion que ce capital est alors réparti entre US Steel pour 27%, la Société d’Escaut et Meuse pour 19,20%, Acier-Investissement pour 3,36% ; le solde soit 50,4% est très dispersé dans le public. La note d’information aux actionnaires indique que la  société fabrique du ferromanganèse et du silicomanganèse dans ses usines d’Outreau (4 hauts fourneaux et 2 centrales électriques de 10 MW au total) et de Boulogne-sur-mer (deux hauts fourneaux et une centrale électrique d’une puissance totale de 34 MW) et qu’un troisième haut fourneau  et une centrale électrique  sont en construction sur le site portuaire de l’usine n°3 ; elle indique également qu’en 1971, les ventes de ferromanganèse représentent 67% du chiffre d’affaires de la société, celles de silicomanganèse  4% et celle d’électricité  2%

Le haut fourneau 7 est mis à feu fin 1972, donnant de très bons résultats techniques. Les exercices 1973 et 1974 sont marqués par une conjoncture soutenue ; production et chiffre d’affaires augmentent. Mais la concurrence étrangère pèse défavorablement sur les prix de vente, alors que le coût des matières premières, coke et minerais de manganèse sont en croissance continue, de même celui du fret maritime et celui des salaires (en 1974, la société compte 4127 salariés). Les charges financières augmentent de façon considérable.

La société qui a lancé un emprunt obligataire de 30 millions de francs prend une participation dans la société allemande MetallhüttenWerke Lübeck qui exploitent à Lübeck alors en République Fédérale Allemande des hauts fourneaux produisant des fontes spéciales. U.S Steel a pris le contrôle de Lübeck qui peut à court terme se poser en concurrent à la production de ferromanganèse d’Outreau et de Boulogne.

L’année 1975 est une année record pour la production de ferroalliages qui dépasse cinq cent mille tonnes. Mais, la production mondiale d’acier brut qui a culminé à 708 millions de tonnes recule à 646 millions en 1975 et 673 en 1977 ; cette baisse ne concerne que les grandes régions à économie de marché, touche de plein fouet les Aciéries de Paris et d’Outreau.  Conséquence de l’énorme marasme qui frappe l’industrie sidérurgique,  le chiffre d’affaires de la société s’effondre en 1976 et plus encore en 1977. Les versements de dividendes sont passés . Les frais financiers deviennent  insupportables. En 1978, la société  dépose son bilan ; le dernier haut fourneau  encore en marche à Outreau est éteint.

Ainsi finit l’histoire des hauts fourneaux d’Outreau créés cent-cinquante ans auparavant.Avec eux s’interrompt la lignée des techniciens, héritiers des hauts fourneaux de Marseille et de Sanson Jordan,  inventeur de la fabrication du ferromanganèse au haut fourneau en 1875, qui, d’ Emile Cornuault à Jean Sanson et Pierre des Rochettes, ont perfectionné la technique, accumulé un savoir-faire essentiel et original, et construit un ensemble industriel qui assure 10% de la production mondiale de ferromanganèse standard.

 

 

La Société du Ferromanganèse Paris-Outreau (1979-2001)

 

Les trois hauts fourneaux de Boulogne sur mer fonctionnent sans interruption jusqu’à leur reprise en 1979 par la Société du Ferromanganèse de Paris-Outreau, créée à l’instigation des pouvoirs publics avec, comme principaux actionnaires, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières, établissement public français, et deux sociétés gabonaises : Comilog qui exploite la mine de manganèse de Moanda, et Sonadig.

La Société du Ferromanganèse de Paris-Outreau conserve l’usine de Boulogne-sur-mer  dans l’état précédent, mais se sépare de l’unité de  production d’oxygène qui l’alimentait et supprime le silicomanganèse de son programme de fabrication.

Au début des années 1980 elle équipe, grâce à l’Aérospatiale, l’un des hauts fourneaux de torches à plasma  qui permettent de porter la température du vent à 1800°, d’améliorer la marche en ferromanganèse et d’envisager de nouveau la fabrication de silicomanganèse. Mais, probablement après  la réussite en 1985 de la mise au point de  fabrications simultanées de ferromanganèse standard et d’un laitier à haute teneur en manganèse, matière première de choix pour les producteurs de silicomanganèse au four électrique, elle décide d’abandonner la technologie plasma et prend en 1992, deux participations majoritaires dans des sociétés productrices de silicomanganèse  à Dunkerque et en Italie. En 1994, elle annonce une capacité de production de 400000 tonnes de ferromanganèse standard ; depuis dix ans, elle consomme presque  exclusivement du minerai de manganèse gabonais,  et du coke qu’elle reçoit par fer et par mer. Les besoins financiers de l’entreprise sont assurés depuis  les années 1980 par des augmentations de capital toujours suivies par la partie gabonaise mais entraînant un effacement progressif de la participation française au profit d’actionnaires étrangers ; la stratégie industrielle de l’entreprise devient alors difficile à déchiffrer.

 

Par suite, semble-t-il, d’un problème de prix de cession du minerai de manganèse par Comilog à  la Société du Ferromanganèse de Paris-Outreau, de vives tensions apparaissent dans l’actionnariat ; elles se règlent en 1994 par la prise de contrôle de la société par les actionnaires gabonais. En 1996, le groupe ERAMET, puissant producteur de Nickel en Nouvelle-Calédonie prend le contrôle de Comilog.

 

Depuis 2001, Comilog France.

 

Cinq ans plus tard, la Société du Ferromanganèse de Paris-Outreau devient Comilog France. Une augmentation de capital  de 130 millions de francs permet la restructuration des fonds propres de la Société du Ferromanganèse de Paris-Outreau et la réduction de ses charges financières. Comilog France lance un plan de modernisation qui prévoit la reconstruction d’un haut fourneau, l’arrêt d’un second et le doublement de la production troisième, en même temps que d’importants  travaux d’amélioration de l’environnement . Le minerai de Moanda arrivera à Boulogne aggloméré ; le coke vient pour 50% de Chine, 25% d’Egypte et 25% de France.

Aujourd’hui le groupe ERAMET annonce une capacité totale de 2,5 millions de tonnes de minerai de manganèse, et de plus de 1,1 million de tonnes de ferro-alliages de manganèse (9 usines, en France, Norvège, Etats-Unis et Chine), soit la première capacité de production de manganèse dans le monde ; l’usine Comilog France de Boulogne-sur-mer s’inscrit au premier rang pour la production des ferroalliages avec une production annuelle de 350000 tonnes de ferromanganèse standard. 

 

source : culture.industrielle.pageperso-orange.fr/comilog.htm  ( photographie février 2006 )

En 2003, l’histoire de la métallurgie du manganèse créée à Boulogne-sur-mer près d’un siècle auparavant, continue. Une situation remarquable explique cette durée: un appontement en eau libre dans le port de Boulogne-sur-mer sur une des routes maritimes les plus fréquentées du monde, une usine sur l’eau travaillant  pour un marché international sidérurgique dont les usines, quand elles ne l’étaient pas, se sont également installées sur l’eau .

Depuis vingt-cinq ans la structure de l’industrie mondiale du ferromanganèse s’est complètement transformée ; les producteurs de ferroalliages indépendants, d’abord passés sous contrôle des sociétés minières, sont maintenant intégrés à  de grandes sociétés internationales spécialisées dans l’extraction, le commerce et la transformation des matières premières.

 

 

 

 La fonderie d’acier  d’Outreau.

 

Si le présent article concerne essentiellement l’histoire des hauts fourneaux d’Outreau, celle de l’aciérie d’Outreau qui leur est étroitement liée,  ne doit pas être oubliée. Cette  histoire reste à faire et on n’en  trouvera ici que quelques éléments . En 1901, la société Robert exploite quatre fonderies d’acier qui produisent 7200 tonnes par an avec 871 ouvriers (2000 tonnes à Paris, 2400 tonnes à Lens, 1200 tonnes à Nantes et 1600 tonnes à Stenay) L’aciérie de Lens est déménagée à Outreau en 1901 et remise en route à Outreau au début de l’année suivante. Après la faillite de la société Robert, l’aciérie d’Outreau et l’aciérie de Paris, rue d’Oberkampf restent les deux seules fonderies d’aciers de la Société des Aciéries de Paris et d’Outreau. De 1902 à 1907, les résultats techniques de la fonderie d’acier d’Outreau ne sont pas bons. Il semble que cela tienne au fait de l’absence à Outreau d’un spécialiste du moulage de l’acier, (Tissot, qui en est un , réside à Paris en tant qu’administrateur-délégué de la société), et aussi de l’attitude de la direction de l’usine qui se sent d’abord concernée par la marche des hauts fourneaux. La crise éclate. Les « responsables » remerciés, un nouveau chef de service de l’aciérie est engagé : Eustache Levoz qui pratique le métier depuis vingt ans et a connu Tissot à ses débuts. Levoz redresse la situation. En 1914, l’usine est arrêtée. Après la bataille de la Marne, elle tourne des obus coulés à Marquise, puis le moulage est remis en route et la fabrication reprend. Les responsables des hauts fourneaux sont démobilisés à partir de 1915.
Dès la fin des hostilités, on étudie la construction d’une nouvelle aciérie, sur le site qu’elle occupe encore aujourd’hui.

Cette nouvelle aciérie est mise en route en 1923, équipée de fours Martin, bientôt de fours électriques par Marcel Didierjean. Celui-ci travaille depuis 1912 au service commercial de l’aciérie de Paris rue d’Oberkampf. Mobilisé de 1914 à 1919, il a passé quelques mois à l’usine de Saint-Denis ( qui a remplacé l’usine de Paris ?) et est muté à Outreau en novembre 1919 pour diriger en remplacement de Levoz l’ancienne aciérie qui se trouve encore au pied des hauts fourneaux. En 1923, il met en route la nouvelle aciérie et la dirige jusqu’à sa retraite.

Cinquante ans plus tard, la fabrication de pièces en acier moulé est une activité importante des Aciéries de Paris et d’Outreau. En 1972, la société a quatre aciéries de moulage à Outreau, 2 à Hirson (fusion en 1970), et une à La Plaine-Saint-Denis ; elle a deux filiales spécialisées dans le moulage d’acier : les Fonderies et Aciéries de Provence contrôlées à 92% et les Fonderies Doernen contrôlées à 56%. Elle possède 23% du capital de la société des entreprises industrielles Babbitless spécialisée dans le matériel de broyage et tamisage des matériaux (sa participation date de 1929). En 1973, l’usine de Saint-Denis est arrêtée et transférée à Noisy-le-sec dans une usine achetée aux Fonderies  et Aciéries de Paris-Seine. Les terrains et les bâtiments de Saint Denis ont été vendus.

De 1967 à 1971, le chiffre d’affaires hors taxe d’acier moulé est passé de  34,1 à 106,4 millions de francs ; il représente 25% environ du chiffre d’affaires global de la société.

 En 1978, après la faillite des Aciéries de Paris et d’Outreau, l’aciérie d’Outreau est reprise par les Aciéries de Pompey, qui avec un autre groupe industriel, Strafor, fondent en 1985 la société Manoir Industries. Aujourd’hui l’aciérie d’Outreau fait partie d’un groupe de neuf usines implantées dans le nord de la France et en Belgique ; équipée de trois fours électriques et d’un convertisseur à l’oxygène, elle réalise un chiffre d’affaires de 33 millions d’euros  dont 80% en  cœurs de croisement de voies TGV ou métros, et le reste en pièces destinées à la cimenterie, l’hydraulique et la sidérurgie.

 

 

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