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Extrait de l’ouvrage de Franck Dufossé " Wissant des origines à 1930"  Editions A.M.A / HISTOPALE 
 
La question de Portus Itius
 
C’est ce mouillage commercial gaulois précédemment cité que découvre César lorsqu’il entreprend la conquête des Gaules. Le conquérant romain désire soumettre les peuplades de l’île de Bretagne qui sont d’une aide précieuse aux Morins pour leur lutte contre l’envahisseur. A cette fin, le proconsul va monter une première expédition en août -55, pour laquelle il va réunir 80 vaisseaux de transport, plusieurs galères et deux légions expéditionnaires, soit près de 10200 hommes.
Cette expédition s’avérant un échec, César entreprendra l’année suivante une deuxième campagne. Six mois seront nécessaires pour construire et rassembler 800 bâtiments de guerre et de transport, pour accumuler les vivres et le bétail, pour recruter des alliés d’outre-Manche. Lors de cette expédition César emmènera 5 légions et 2000 cavaliers, soit environ 25 000 hommes.
Ces deux campagnes restent une énigme pour l’histoire locale. Où se situe ce mouillage que César dit, à deux reprises avoir emprunté ? La seule source contemporaine de ces événements est très vague ; il s’agit de la Guerre des Gaules de Jules César lui-même. Si le proconsul ne donne pas le nom du mouillage utilisé pour sa première expédition, il est fort probable qu’il s’agit du même port que celui qui a servi lors de la deuxième campagne, c’est-à-dire Portus Itius (que César mentionne au Livre V, 5).
 Certains historiens, géographes et érudits locaux parmi lesquels MM. Cavrois, Ducange, De Saulcy, Vidal de la Blache, Wauters ou encore Henry voient dans le Portus Itius de Jules César le mouillage de Wissant. Toutefois d’autres auteurs leur opposent Calais, Sangatte et surtout Boulogne. Cette dernière localisation a notamment été ardemment défendue au XIXème siècle par l’archiviste boulonnais Daniel Haigneré (1) . Beaucoup d’historiens actuels le rejoignent. Mais qu’en est-il vraiment ?
 
Le port le plus proche et le plus commode
César envisage d’envahir l’île des Bretons pour assurer ses conquêtes en Gaule. A cette fin, il lance une enquête, d’une part pour savoir quels mouillages utilisent les marchands gaulois pour se rendre en Bretagne, d’autre part pour choisir lequel de ces havres conviendrait le mieux à ses projets d’invasion.
On a longtemps cru, faute de témoignages archéologiques probants, que Wissant n’était pas un de ces mouillages servant au commerce outre-Manche. Les trouvailles à la Motte au vent d’une céramique importée, le nombre conséquent de monnaies gauloises découvertes sur le communal (2)  sont autant d’éléments archéologiques qui désormais attestent que, à l’arrivée des Romains en Morinie, Wissant était bien un port de transit sur les voies commerciales entre le continent et l’île de Bretagne.
 
Qu’est-ce que Portus Itius ? Un port, un havre, un mouillage que le conquérant des Gaules choisit pour sa situation avantageuse : le trajet pour la Bretagne y est en effet plus court et plus commode que pour les autres mouillages du littoral des Morins. César l’affirme clairement dans sa Guerre des Gaules. Et pourtant, sa description de Portus Itius , écrit essentiel pour localiser le port, a souvent été utilisée contre Wissant et donc pour Boulogne.
Or, en ce qui concerne la distance, le site wissantais convient parfaitement puisque notre village est beaucoup plus proche des côtes anglaises que ne l’est Boulogne.
Pour ce qui est de la commodité du voyage, les scientifiques ont démontré que pour arriver directement en Angleterre, il est plus aisé de partir de la cité boulonnaise que de l’anse wissantaise. Ils arguent que les courants et les vents marins facilitent le départ de Boulogne et sont un handicap pour quitter Wissant. Tout marin connaissant bien les eaux de la côte pourrait en témoigner (3).
Cette assertion paraît donc incontestable, alors que rien ne prouve qu’il y a 2000 ans le jeu des vents et des courants était le même. Au contraire. Un élément essentiel du littoral boulonnais intervient dans la naissance et le sens des courants et des vents marins : le cap Gris Nez. Or, au temps de César, le site des deux caps ne présente pas la même physionomie qu’actuellement : le pays est couvert de bois, la mer s’avère beaucoup plus en retrait et les deux caps pointent leurs extrémités respectives, selon les différentes estimations, entre 500 mètres et 2 kilomètres plus vers la mer (4) . De ce fait, avec un cap Gris Nez beaucoup plus avancé sur la mer et avec une mer d’un niveau inférieur d’au moins un mètre par rapport à celui actuel (5), il est tout à fait possible qu’à l’époque de César les courants et les vents marins aient été différents de ceux d’aujourd’hui. La baie ne doit refléter que partiellement ce qu’elle était il y a 2000 ans. La question de commodité du voyage n’aurait en rien gêné la localisation wissantaise pour Portus Itius.
 
 

Portus Itius, port militaire provisoire

  César n’a pas créé Portus Itius ; il l’a trouvé existant et s’en est simplement servi, transformant le mouillage commercial en port militaire. Passées ses expéditions en Bretagne, le proconsul a quitté le pays pour d’autres conquêtes. Jamais il n’a fait de Portus Itius une place forte durable pour assurer la sécurité du littoral.

Ses successeurs immédiats et notamment Auguste n’ont pas ambitionné de mener une nouvelle campagne contre les Bretons. De ce fait, puisqu’il n’y avait pas à l’époque de flotte romaine permanente sur le littoral morin, Portus Itius a été rendu à son premier usage : un port de commerce.
Lorsque les autorités romaines ont projeté de créer une place fortifiée sur la côte, elles se sont rendues évidemment à Portus Itius. Mais elles n’y ont trouvé qu’un simple mouillage choisi par César parce que le trajet outre-Manche y était le plus court et non pour accueillir des fortifications. Leurs aspirations étaient en effet différentes de celles du conquérant des Gaules.
Portus Itius ne leur convenant pas, les Romains en peuple de fins stratèges ont porté leur choix sur le site de Boulogne, le seul à réunir les conditions suivantes : site en hauteur, à proximité de la mer, au pied d’une rivière importante qui s’enfonce dans un pays très boisé et qui possède un estuaire formant un port naturel.
Cette place forte portera le nom de Gésoriacum et sera donc bâtie dans un but stratégique : il faut un point de résistance en cas de révolte terrestre ou d’attaque maritime. Du reste cette place aurait été érigée bien après César, durant les années 12 à 9 avant J.C. (Florus II, 30, 26). (6)
 
Portus Itius et Gésoriacum
Autre argument. Pourquoi les Romains n’auraient-ils pas conservé le nom donné par César, empereur qu’ils vénéraient. Il semble difficile que Gesoriacum et Portus Itius ne soient qu’un seul et même port.
Du temps du règne de César, Wissant n’est qu’un mouillage à côté duquel vivent quelques familles de pêcheurs et d’agriculteurs. Il ne s’y développe aucun foyer de peuplement important et aucune activité commerciale conséquente car l’arrière-pays immédiat est vraiment peu propice à une vie économique intense. Ce mouillage n’en est pas moins très fréquenté pour les échanges entre la vallée du Rhin et la Bretagne car le trajet transmanche y est court.
Le conquérant romain a très bien pu s’en servir pour ses projets d’invasion. Plutôt que d’utiliser son nom gaulois, il a préféré dans ses écrits appeler Portus Itius le mouillage wissantais, portus qui veut dire passage, mouillage, port, et itius de itio signifiant action d’aller. Cette appellation Portus Itius n’est connue d’ailleurs que par César et Strabon, un géographe grec du dernier siècle avant J.C. qui pour ses travaux a dû se baser sur la Guerre des Gaules (7) . On ne retrouve par la suite aucune mention de Portus Itius ce qui paraît logique si l’on admet que seul César a utilisé ce mouillage. La célébrité soudaine de Portus Itius s’est évanouie avec le départ du conquérant.
Au contraire de César, ses successeurs ont cherché un point d’ancrage durable sur le littoral des Morins. Gésoriacum est née de cette volonté, devenant peu à peu une ville et un port. La cité s’impose de fait ; elle draine progressivement vers soi le commerce et la population littorale. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’auteur Pomponius Mela, qui a composé son ouvrage en l’an 43 de notre ère, ne parle que d’un seul port de la Morinie : celui de Gésoriacum (8).
Lorsqu’en 39-40 Caligula vient sur nos côtes en vue d’une invasion en Bretagne, l’empereur trouve Gésoriacum, c’est à dire une place forte bien établie avec un port. Il va donc tout naturellement utiliser ce site et non Portus Itius, simple mouillage rendu par César à son usage commercial. Tous feraient et feront le même choix que Caligula.
 
 
Les voies romaines

 On a opposé à la localisation wissantaise l’argument des voies romaines. Wissant ne peut pas être le site de Portus Itius car aucune voie romaine n’y mène. Cela est faux puisqu’il existe au moins une voie attestée d’époque gallo-romaine passant par Wissant : la Leulène, sur laquelle cette étude reviendra un peu plus tard.

Il est fondamental de ne pas oublier la vérité suivante : Portus Itius est un port gaulois, avant d’être romain. Les voies menant à ce port sont donc gauloises. Or le peuple morin ne possède bien évidemment pas de réseau de chaussées ayant l’Italie pour point de départ. Il est donc normal qu’il n’y ait pas de voie romaine menant au mouillage de César.
Le conquérant romain ne l’utilisera qu’à deux reprises, et plus jamais ses successeurs. L’usage ainsi temporaire de Portus Itius ne nécessitera logiquement pas la construction de tout un système de chaussées y menant. L’argument de l’absence de voies romaines conduisant à Wissant n’élimine donc en rien l’hypothèse de la localisation wissantaise pour le site de Portus Itius.
 
 

Portus Itius, anse ou port ?

 Dernier argument opposé à Wissant : la baie des deux caps ne correspond qu’imparfaitement aux indications données par César. Pourquoi donc ? Si l’anse qui s’étend du cap Gris Nez au cap Blanc Nez est aujourd’hui sans aucune protection contre les coups de mer et contre les vents, rien ne prouve qu’il y a 2000 ans la situation était la même. Comme il a déjà été écrit plus haut, la mer était alors beaucoup plus en retrait qu’aujourd’hui et les deux caps pointaient leur extrémité plus au large. Ce sont autant d’éléments susceptibles de modifier les courants et les vents marins.

D’ailleurs si Wissant est sous les Morins un mouillage participant aux échanges commerciaux entre le continent et la Bretagne, c’est que les Gaulois n’étaient pas excessivement gênés par les vents et les courants.
Cependant, selon l’abbé Haigneré Portus Itius aurait été non pas une anse, ni même un simple mouillage mais un véritable port c’est à dire un enfoncement que la retraite du rivage forme dans les terres ; il est clos par la nature et les navires y séjournent à l’abri des vents. Selon cet historien, Wissant ne présente pas un tel site au contraire de Boulogne, c’est donc là qu’il faut chercher Portus Itius et non à Wissant.
Mais qu’est-ce que le site boulonnais ? Il s’agit de l’embouchure de la Liane, qui est beaucoup plus importante sous César qu’aujourd’hui. Un banc de sable forme en son cœur une île naturelle tandis que le cap d’Alprech, beaucoup plus avancé sur la mer, protège le port d’une partie des vents. Ce site semble en effet correspondre aux indications de César (9).
Toutefois, même s’il rentre assez d’eau dans le port de Boulogne pour permettre la sortie instantanée de plusieurs centaines de bateaux, il est très difficile de disposer d’un grand nombre de vaisseaux dans un fleuve comme la Liane de manière à leur permettre de profiter rapidement du vent et de la marée. Or César va utiliser près de 800 bateaux de guerre et de transport pour sa deuxième campagne. Au contraire de Boulogne, une pareille manœuvre ne présente pas la même difficulté dans l’anse wissantaise, très spacieuse et dépourvue d’écueils.
En outre, si l’on tient vraiment à voir dans Portus Itius un véritable port naturel, Wissant peut l’être. Il existe au large du village, entre les caps Gris Nez et Blanc Nez, un long banc de sable appelé le banc à laine. Une carte d’époque témoigne qu’il est encore très partiellement accessible au XVIIe siècle par marée basse durant les très fortes marées (10). Durant la première moitié du XXe siècle, aux dires de vieux matelots, ce banc de sable émergeait périodiquement au large. Selon leur témoignage, sur le bac de l’eine, comme ils l’appelaient, on pouvait voir, par temps clair, quelques phoques se reposer au soleil (11).
Il est tout à fait possible qu’aux temps de César le banc à laine ait été pour une grande partie au-dessus du niveau de la mer, une mer qui, faut-il le rappeler, était alors bien plus en retrait qu’aujourd’hui ou même qu’au XVIIe siècle. Le banc ainsi émergé aurait formé une île, faisant de l’anse wissantaise un port naturel.
 
 

Conclusion

    En conclusion de cette longue étude sur le port qu’a utilisé César en Morinie,l’on peut dire que la localisation wissantaise pour Portus Itius reste tout à fait possible et valable. Les arguments que certains ont opposés à Wissant sont pour la plupart sans valeur. Un seul pourrait poser quelques interrogations : aucune trace du passage des 11 000 hommes de la première expédition ni des 25 000 de la seconde n’a été retrouvée à Wissant. C’est vrai mais il faut préciser que cette trace n’a été découverte nulle part, et donc non plus à Boulogne. Ces vestiges doivent vraisemblablement se trouver maintenant sous la mer, Manche et Mer du Nord ayant gagné beaucoup sur les caps et sur les terres depuis deux mille ans.

Sans nouvelles découvertes archéologiques, on peut seulement affirmer à l’heure actuelle que Portus Itius se situe entre Equihen et Sangatte. Néanmoins Wissant, dans la même mesure que Boulogne, apparaît comme une des localisations les plus probables, sinon la plus probable.
 
 

1 Daniel HAIGNERE, Etude sur le Portus Itius de Jules César, réfutation d’un mémoire de M. F. de Saulcy, Paris, 1862, 136 pages
2 Dont certaines ont appartenu à des tribus éloignées
3 R. DELMAIRE (dir.), op. cit. t. 1 p. 63
4 Archives presbytérales wissantaises, archives de M. L’abbé Paul LESAGE
5 Ce que le site gallo-romain des tourbières littorales atteste
6 Alain LOTTIN (dir.), Histoire de Boulogne-sur-Mer, Lille, 1983, p.17
7 D. HAIGNERE, op. cit. p. 41
8 Ibidem
9 Pierre HELIOT, Histoire de Boulogne et du Boulonnais, Lille, 1937, p. 27-28
10 A. VERLEY, Boulogne-sur-Mer à travers les âges, t. 1 : en ce temps là Bononia, Boulogne-sur-Mer, 1978, p. 44-45
11 Archives presbytérales. ,R.P., « Wissant au temps jadis », p. 1
 
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LA POLEMIQUE  PORTUS ITIUS

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La polémique au sujet de la localisation de Portus Itius a commencé au XVIIe siècle, elle continue donc naturellement sur le WEB. Les historiens s’accordent néanmoins à le localiser à Boulogne sur Mer.

Histopale vous propose quelques sites traitant du sujet ou de son contexte.

 

 

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