Jacques Mahieu–Bourgain retire des abysses le souvenir de 5 600 noyés
Avec son livre, Jacques Mahieu–Bourgain retire des abysses le souvenir de 5 600 noyés Auteur: Légende: Le recueil se veut une contribution à l’édification d’un grand mémorial maritime départemental. C’est peu de dire que Jacques Mahieu–Bourgain a consacré une grande partie de sa vie à tirer de l’oubli les noms des quelque 5 600 marins du Pas–de– Calais péris en mer. Il leur consacre un ouvrage et rêve d’un « mémorial maritime départemental ».
Enfant du Chemin–Vert, Jacques Mahieu ne manquait jamais de s’arrêter au calvaire des marins lorsqu’il se rendait à Saint–Pierre, au port ou à la plage de Boulogne. « Les catastrophes maritimes de mon enfance venaient à un rythme effrayant résonner sur ses murs tapissés d’ex–voto , raconte-t–il dans sa postface. J’avais 10 ans. Ces tragédies me touchaient beaucoup car elles affectaient ma famille maternelle, mon quartier… » Jacques Mahieu leur a consacré un premier ouvrage en 1985, alors qu’il était encore en activité, Les Marins du Boulonnais péris en mer.
Puis un livre plus complet maintenant qu’il est retraité (1). Un registre détaillé où figure en bonne place chacun des cinq mille six cents disparus en mer, d’Oye–Plage à Berck–sur–Mer.
Pourquoi cette quête ? « Pour les tirer de l’oubli. » Pour rappeler la glorieuse histoire du Pas– de–Calais, ce département maritime qui a oublié qu’il porte le nom d’un détroit. « Quand on l’évoque, l’image qui vient instantanément est celle des terrils, des corons et des mineurs de fond, comme si le Pas–de–Calais se résumait au seul bassin minier, dit Jacques Mahieu– Bourgain, à une histoire industrielle qui court sur à peine deux siècles. » C’est donc aussi pour réparer une injustice qu’il voudrait un mémorial de belle facture, visible de loin, un amer, un signal juché sur un promontoire, au cap d’Alprech, au Gris-Nez ou à la Crèche.
Minutieux
Son livre n’est bien sûr pas exhaustif : c’est un certain Jehan Hoys, pêcheur boulonnais, jeté à la mer par les Anglais, qui ouvre la série.
L’auteur a consulté tous les registres paroissiaux de toutes les communes du littoral, ce qui lui a permis de couvrir la période 1560–1792. Puis, après 1793, les registres d’état civil. Un travail long et minutieux, fastidieux, avec pour chacun d’entre eux, les circonstances de leur mort.
Grâce à lui, au hasard des pages, on replonge dans cette terrible tempête du 14 octobre 1881 qui envoya par le fond six harenguiers boulonnais en pêche au large de Yarmouth. Un ouragan qui causa la mort de 109 marins. Imagine–t–on aujourd’hui le drame que cette perte a causé à Boulogne ? Cent neuf marins morts le même jour ! Combien de familles endeuillées, de veuves inconsolées, d’orphelins ?… Jacques Mahieu fait aussi des statistiques. Ce sont les Delpierre qui ont payé le plus lourd tribut : 139 morts portaient ce patronyme cher aux Boulonnais. Viennent ensuite les Leprêtre (136) et Bourgain (124) du Portel, les Malfoy (102) les Gournay (75)… Des noms qui évoquent encore le passé maritime du port de pêche. Son livre s’intéresse aussi aux communes du littoral : Boulogne (1 843 marins), Outreau – Le Portel (880), Calais – St–Pierre (743), Étaples (458), Berck (274), Wissant (96), etc. Sombre. Litanie mais aussi juste hommage à ces hommes et parfois ces enfants souvent méprisés de leurs contemporains parce qu’ils ne sont pas comme eux, des terriens.
Un monde à part
« Cette mer mystérieuse, impressionnante, qui terrifie les hommes et provoque une peur permanente, peur des noires profondeurs, peur de la force du vent, peur du mouvement, de la dimension et de la puissance des vagues, peur de l’obscurité, peur du brouillard, peur de l’immensité de l’océan, peur d’un ciel toujours changeant », écrit Jacques Mahieu. « Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer », disait déjà Aristote. Avec son livre, Jacques Mahieu–Bourgain tire de l’oubli le souvenir d’un monde à part.
« À la mémoire des cinq mille six cents marins du Pas–de–Calais péris en mer ».
Collections Signe d’Opale. 25 Euros
Chez l’auteur : 140, chemin des Côtes, hameau du Bail,62250 Bazinghen. La Voix du Nord
PAR BERTRAND SPIERS LA VOIX DU NORD