LE PORT D’ETAPLES : NOTICE HISTORIQUE
PAR M. J. VOISIN et M.DELMOTTE (1907)
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INGÉNIEURS DES PONTS ET CHAUSSÉES
HISTOIRE DU PORT D’ETAPLES
Il est admis généralement par les historiens qu’Étaples est l’ancien port de Quentowic ou Cuenlavicus (ville de la Canche), fondé vers l’an 5o avant notre ère. Les fouilles faites du côté de la Folie et du Pli de Camiers, depuis une cinquantaine d’années, ont amené, en effet, la découverte de ruines et de nombreux objets de l’époque gallo-romaine (tumulus des Cronquelets au N. O. de la ville). Au château d’Etaples, situé vers le S.E. et dont la construction remonte à l’an 284, on a trouvé en prenant des remblais pour le chemin de fer, en 1848, deux fondations superposées; la première, qui est de l’époque gallo-romaine, est recouverte de décombres d’où l’on a retiré des monnaies des empereurs romains. Or Quentowic avait déjà en 26o, sous l’empereur Gallien, un atelier monétaire, qui subsista sous les rois francs des deux premières races; c’était, en outre, la résidence d’un intendant chargé de présider au commerce (praefectus emporii) et de percevoir les droits du fisc; il s’y tenait des foires annuelles.
Une voie romaine reliait Étaples à Boulogne par Camiers, Dannes, Bellefontaine et Isques. Au commencement du Ve siècle, sous Honorius, une division de la flotte romaine , commandée par un préfet maritime, stationnait dans la baie de la Canche. Cette baie se prolongeait jusqu’à Montreuil sur Mer, située à plus de 10 kilomètres à l’amont et même jusqu’à Vieil-Hesdin et il n’existait sur tout le parcours, jusqu’à Montreuil, qu’un seul passage : le bac d’Attin à 7 kilomètres environ, qui n’était probablement autre que l’Adlullia de l’itinéraire théodosien, sur la voie romaine de Boulogne à Amiens et où , dès 681, était perçu un droit de péage. Les navires remontaient encore jusqu’à Montreuil au moyen âge et ceux dont les mâts étaient trop hauts devaient même payer un droit au propriétaire du bac d’Attin pour l’enlèvement de la corde qui servait à la manoeuvre de son bateau.
Pendant plusieurs siècles , le port de Quentovic fut mentionné comme une des voies les plus directes pour se rendre en Angleterre et Ducange dit même que sur l’une des tours du chateau de Fromessent, actuellement en ruines, sur la route d’Etaples à Frencq, brillait, au IXe siècle (probablement vers 859), un fanal servant à diriger les navires qui abordaient en ce point de la côte.
Quentowic fut visité, en 752, par Pépin, puis, en 787 et 799, par Charlemagne, qui prescrivit des travaux de défense et ordonna qu’une flotte y fût établie.
Carte représentant la région d’Etaples en l’an 800 (édition du XVIIe siècle source BNF)
Dès cette époque, on percevait des droits de port. La ville fut souvent pillée, notamment pendant la foire de 864, et ravagée par les pirates du Nord, qui la détruisirent complètement vers la fin du IXe siècle (888 environ). Vers cette date, le nom de Quentowic disparaît et fait place à celui d’Etaples ( Stapula ). Ce dernier nom signifie simplement ville de trafic, foire ou marché. Les Normands s’en emparèrent à diverses reprises, en 900 et 918.
Etaples appartint longtemps aux comtes de Boulogne qui, dès le XIe siècle, restaurèrent son port. Mathieu d’Alsace, l’un d’eux, fit établir une digue dans le port et reconstruire ou restaurer, en 1172, le château que Baudoin II, comte de Guînes, assiégea en 1190 ; Philippe le Hurepel fortifia la ville en 1226. Le port avait alors une certaine importance : la flotte du roi Philippe Auguste y stationnait en 1193.
Les franchises furent octroyées à la commune par Louis le Gros et confirmées, en 1277, par Guillaume II, comte de Boulogne.
La pêche était déjà la principale ressource d’Etaples et on la pratiquait à charge de certaines redevances qui durèrent longtemps. Il était en effet perçu à cette époque (1190) divers droits au profit du roi, des seigneurs féodaux et de la ville, tant sur les marchandises que sur les navires et sur le produit de la pêche.
Une ordonnance de 1360 mentionne un droit appartenant au roi seul, dit de forage, de 4 pots (et plus tard de 4 sols dont 3 pour la ville) de vin par tonneau de vin abordant au port et d’autres droits partagés à raison d’un quart pour le roi et de trois quarts pour la ville, notamment le droit de siège des navires, payé par tout navire entrant au havre à raison de 1o sols et à charge par le fermier de bien et « dûment balizer le chenal », et la ferme du « fayel » de 8 sols par bateau en temps de harengaison. En outre, en vertu de la même ordonnance, tout navire prenant terre au port payait au roi 8 deniers parisis, à moins qu’il n’appartint à des personnes demeurant entre la Canche et l’Authie; tout navire prenant du feu ou de l’eau dans la ville payait au roi 3 sous parisis; tout bateau pêcheur de la ville payait au seigneur d’Etaples, une fois l’an, le produit d’une pêche faite entre la Septuagésime et l’Ascension; tout navire partant d’Angleterre et abordant à Étaples payait au seigneur de Montcavrel 1 denier d’or; tout vaisseau entrant au port payait au seigneur de Fromessent 1 écu; tout bateau de pèche donnait au même 3 beaux poissons d’une pêche sur 3, à charge par ledit seigneur d’entretenir un feu sur sa tour ; tout bateau échouant ou abordant à la côte payait au roi une certaine quantité de poissons et enfin tout bateau pêcheur payait au roi également le droit d’hôtage de 1 sou par livre qui lui conférait le privilège de vendre le poisson frais et salé.
Vue d’Etaples et de son château à la fin du XVe siècle par Job Peeters
En 1340 , Etaples fournissait 10 vaisseaux à la malheureuse bataille de l’Ecluse où les Anglais défirent la flotte française. La ville fut plusieurs fois pillée ou brûlée pendant la guerre de Cent-Ans, notamment en 1355,1378 et 1435 . Dans cette dernière année, le port fut réparé au moyen d’un impôt spécial prélevé sur les marchandises par la commune. Il existait probablement à cette époque un mur de quai à l’emplacement des maisons bordant le côté Sud de la Place , on a retrouvé des traces lors de leur construction au XVIIe siècle .Ce mur allait de la rue du Port au château , ainsi qu’on le voit sur un plan du XVIe siècle.
En 1477, Etaples fit retour à la Couronne de France en même temps que le comté de Boulogne .François Ier et Henri II y vinrent et ce dernier ordonna même de relever et d’augmenter les remparts (1548) . Mais déjà depuis longtemps les sables envahissaient le port au point qu’en 1545 il fallut l’approfondir, mais sans grand succès. Néanmoins la mer montait encore jusqu’à Montreuil et une goélette s’y rendait en 1581.
La Canche d’Etaples à Montreuil en 1558 ( source BNF)
Vers cette époque on voit apparaître la corporation des briamans, c’est-à dire d’individus au nombre de 25 (en 1608) chargés du déchargement des navires et du mesurage des marchandises et dont les privilèges durèrent jusqu’après 1727.
Des lettres patentes prescrivirent, en 16o8 et 1619 ,la plantation d’oyats pour arrêter l’envahissement des sables; mais ce fut vainement , le quai cessa d’être baigné par le flot et les navires ne purent plus y aborder ; si bien que l’Etat l’aliéna en 165o et que des maisons, dont quelques unes existent encore au Sud de la place, furent édifiées sur ses restes.
En 1628 on entretenait encore un feu sur la tour du clocher de Notre-Dame de-Foy (détruite en 1793) et dans ce but les capitaines des navires étrangers payaient volontairement 4 livres. La même année, un corsaire fut armé à Etaples pour capturer les navires ennemis qui se rencontraient en Manche. Des navires d’Etaples allaient à cette époque chercher du seigle en Allemagne et en Hollande (1608 et 1630). En 1650, l’entrepôt de sel fait son apparition après avoir donné lieu, dès 1604, à une vive opposition.
En 1689 , le mouvement des sables s’étant poursuivi, la garenne d’Etaples était envahie et le village de Rombly disparaissait. On trouve fréquemment dans la baie, à la suite des érosions produites par la mer, des bancs de tourbe et même des troncs d’arbres qui fournissent la preuve de l’envahissement des sables.
Plan d’Etaples vers le début des années 1700 ( source BNF)
Le démantèlement partiel du château d’Étaples qui, au XVIe siècle, était imposant, eut lieu en 1641 et ses ruines, dont il ne reste guère actuellement que le site, furent vendues en 1792 ; les matériaux servirent à construire les digues qui enclosent les molières de la rive droite.
Le gouverneur avait encore, au moment du démantèlement, une frégate amarrée au quai. En 1678 , Vauban reconnaît que, moyennant quelques travaux qu’on exécuta, on pouvait maintenir le cabotage. Mais bientôt le port fut encombré et l’on trouve les renseignements suivants sur sa situation en 1698 : « Le port n’est plus propre que pour les bateaux pêcheurs et quelques navires marchands de 40 à 5o tonneaux, encore fallait il qu’ils relâchent dans un port voisin pour attendre la vive eau et un pilote côtier·. Le commerce est réduit à quelques vins ; eau-de-vie , vinaigre , huile de baleine et de poisson et à 6000 muids de sel environ. » (Manuscrit n" 330 de la bibliothèque de l’Arsenal.)
Le commerce d’eau-de-vie et de sel parait encore avoir eu cependant une réelle importance vers le milieu du XVIIIe siècle. Des travaux de plantation dans les dunes, exécutés dans les années1741 à 1746, n’empêchèrent point l’envahissement des sables de continuer.
Plan d’Etaples datant de 1767 ( source BNF)
A cette époque, il ne parait avoir existé aucun ouvrage maritime dans le port . Cela ne pouvait durer et le 13 mars 1789, les habitants d’Etaples, dans leurs cahiers de doléances et de remontrances qu’ils devaient soumettre à l’Assemblée du Boulonnais, « supplient le roi de jeter les yeux sur les contrées. voisines de la mer, d’envisager tous les ravages et les pertes qu’y occasionnent les. sables et de s’occuper de moyens plus propres et plus efficaces pour en arrêter les progrès; le moyen qu’on aperçoit dans ces contrées pour remédier à ces désastres est la conservation des épines et des oyats ». (Archives de la Sénéchaussée du Boulonnais.).
A la Révolution, Étaples devint chef-lieu de canton du district de Boulogne, puis de l’arrondissement de Montreuil ( 17 février 1800). A cette époque, des bateaux de 150 à 200 tonneaux au plus pouvaient remonter à Etaples où l’on trouvait de 3m57 à 6m5o d’eau, en vive eau extraordinaire, en face du port. En 1803 et 1804 le premier Consul visita Etaples et toute la côte, lors des préparatifs de l’expédition contre l’Angleterre; il prescrivit divers travaux afin de mettre le port en état de recevoir 400 bâtiments, chaloupes, bateaux, canonnières et péniches qui devaient former l’aile gauche de notre flottille dont le centre était à Boulogne. Les plus grands de ces bateaux n’avaient pas plus de 6 pieds de tirant d’eau et portaient 22 hommes.
A cette période de l’histoire remonte la construction d’une cale d’embarquement, qui existait encore il y a quelques années, à l’amont du quai d’Etaples et celle du pont qui ne fut pas achevé et ne fut repris que plus tard.
En 1807, la population d’Etaples était de 1507 habitants; elle était de 1600 en 1821 , de 2290 en 1860, de 3.816 en 1891 et de 5.278 en 1906.
En 1809, la situation de la baie était la suivante: l’embouchure avait 3oo toises de large, elle était déterminée sur la pointe du Touquet par deux fanaux et sur la pointe de Lornel par un fanal et un mât de sémaphore (démoli en 1815). Ces deux points étaient à 188 toises de distance. Les bancs de sable s’avançaient, dans la direction des pointes, d’environ 3oo toises. Le lit de la rivière était marqué par des bouées : 2 noires au Sud, 2 blanches au Nord et par des balises jusqu’au port. Le chenal avait une profondeur de 11 à 20 pieds en vive eau extraordinaire, depuis son embouchure jusqu’au port et en face de la cale d’embarquement où existait une fosse; il pouvait recevoir des bâtiments de 160 tonneaux et des bateaux tirant 4 pieds pouvaient remonter en vive eau jusqu’à Montreuil. Enfin, la pêche comprenait 15 bateaux montés par 120 hommes et produisant 8o.ooo francs.
Plan de l’embouchure de la Canche vers 1810 d’après les archives de l’Artillerie
En 1822 , la pêche se faisait à l’aide de 25 bateaux de 8 à 9 tonneaux montés par 5 hommes et 1 mousse et par 3 bateaux de 25 à 27 tonneaux faisant le hareng et le cabotage, le produit s’élevait à 76305 francs.
Ce n’est guère qu’à partir du milieu de notre siècle que de sérieuses améliorations furent apportées au port d’Etaples et dans la baie de Canche.
En voici l’énumération :
Le quai actuel en charpente fut construit de 1847 à 1849. En même temps on exécutait, en amont du port, le viaduc du chemin de fer d’Amiens à Boulogne.
En 1875 on établissait le chemin de fer d’Arras à Etaples.
Les deux phares de l’embouchure de la Canche furent allumés le 1er janvier 1852 et celui de Camiers le 29 mars 1891 avec son caractère actuel.
Le pont du chemin de grande communication n° 119 fut livré à la circulation en 1860.
Les premiers travaux de redressement du chenal de la baie d’Étaples, comprenant la construction d’une digue submersible sur la rive gauche de la Canche, furent exécutés de 1863 à 1870 ; ils ont été complétés de 1882 à 1884 par l’exécution d’une seconde digue, également submersible, placée parallèlement à 150 mètres de la première sur la rive droite. Cette dernière digue a été prolongée de 594 mètres en 1894 et de 1.ooo mètres entre 1897 et 1901.
Enfin, le quai en charpente a été prolongé de 1880 à 1882 par un quai en maçonnerie de 100 mètres de longueur avec terre-plein de 75 mètres de largeur, et un nouveau prolongement de 100 mètres a été exécuté de 1896 à 1897.
Malgré les nombreux travaux d’amélioration énoncés ci-dessus, l’importance commerciale du port d’Étaples a toujours été en décroissant ; elle est nulle aujourd’hui, mais, par contre, l’industrie de la pêche s’y est développée très rapidement et elle a doublé durant les vingt dernières années. Il a été plusieurs· fois question de canaliser la vallée de la Canche et de réunir ainsi Etaples au réseau navigable à Arras. Les premiers projets remontent à Vauban et ont été représentés sans succès en 1765 , 1797 , 1799, 1805 , 1807 , 1821 , 1835 , 1839 etc. … Aujourd’hui on peut venir à Etaples avec des bateaux de 3m5o de tirant d’eau.