Get Adobe Flash player

EXTRAIT DE L OUVRAGE DE YVON LEQUIEN ( éditions A.MA / Histopale )

" AUDINGHEN CAP GRIS NEZ UN PASSE RECOMPOSE"  

Bibliothèque numérique Lille

 

Les sentinelles du Détroit

  

La première sentinelle : la maison du guet

         Sur le plan cadastral de 1830, à l’emplacement du phare actuel, figure la « maison du guet     (1).

A quelle date remonte cette construction ? Difficile d’apporter une réponse précise à cette question. Un acte de mariage du 5 juin 1798 révèle qu’un nommé  Jacques Pourre, ancien matelot, époux de Marie Lacroix, est « guetteur au guet du Grinet ». Deux enfants de ce couple, Etienne et Antoine nés respectivement en 1772 et 1774, seront aussi guetteurs au même endroit.      (2)     

Carte datée de 1776 ( BNF )

            Une affaire de famille donc !

             La mission des guetteurs      (3)

            Au XVIIIe siècle, on a placé sur les pointes du Blanez et du Grinez, d’où l’on découvre tout le Pas de Calais et les dunes d’Angleterre, des guetteurs aux appointements de 600 livres avec un logement sur les lieux. Ils ont des lunettes de six pieds de long et des pavillons qu’ils hissent en haut d’une mâture pour servir de signaux aux vaisseaux qui ont à doubler les pointes. Ces guetteurs sont sous les ordres du Commissaire de la marine de Boulogne, à qui ils font savoir tous les jours par un cavalier le nombre de vaisseaux anglais qui entrent et sortent des dunes. Ils envoient un pareil avertissement au commandant de Boulogne.

            Près du logement du guetteur du Grinez, une batterie de canons de fer de trois pièces sert pour les cas d’alarme…

            Les cavaliers de Wissant font la patrouille entre le Grinez et le Blanez, l’un d’eux restant près du guetteur pour porter les nouvelles…

 La deuxième sentinelle : le phare

         Simples feux de bois allumés sur les falaises, ou hautes tours équipées d’un système optique, les phares ont toujours été des repères indispensables pour les navigateurs.

Le premier fut édifié sur l’île Pharos en face d’Alexandrie, au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Il a été classé parmi les sept merveilles du monde.

 Plus près de nous, sur les falaises de Boulogne, l’empereur romain Caligula a fait édifier le phare de la Tour d’Odre en l’an 40. Haut d’environ 60 mètres, ce phare s’est effondré en 1644.

Marguet, ingénieur en chef des Ponts et chaussées de Boulogne, dirige la construction du phare « fixe »  (4) du Gris-Nez et de la maison du gardien. Le foyer est établi à 15 mètres au-dessus du niveau du sol et les lampes sont alimentées avec de l’huile de baleine. Commencés en avril 1835, les travaux durent deux ans. La mise en service a lieu le 1er novembre 1837.

 Fini donc les naufrages sur notre côte ! Un simple avis dans la presse locale avertit les navigateurs de ce nouveau feu dans le Détroit. Tous les marins dignes de ce nom sont censés être informés…

Malheureusement non, et l’incroyable se produit. La nuit même de la mise en service du phare, le navire anglais Leda s’échoue à Ambleteuse. Trompé par le brouillard, le capitaine a confondu les feux du Cap Gris-Nez avec ceux du phare de Dungeness situé sur la côte anglaise. Bilan : 6 morts.   

En 1838, pour éviter pareille méprise, l’administration des Ponts et chaussées fait établir à 60 mètres à l’O.N.O. du phare un petit feu additionnel à courtes éclipses. Sa portée est de 3 à 4 lieues marines, moitié de celle du phare. Rien n’y fait. Pire ! Le 20 janvier 1841, une nouvelle confusion des feux jette à la côte trois bateaux entre Ambleteuse et Audresselles.

 

Dans ses colonnes du 21, le journal  Annotateur  dénonce le danger :

Ces navires ont échoué par un vent de N.E. et un temps fort brumeux qui masquait totalement le feu inférieur de la pointe du Grinez, ne permettant de voir que le feu supérieur, qu’ils ont pris, comme tant d’autres l’ont fait avant eux, pour le feu de Dungeness. Nous avons maintes fois réclamé dans ce journal contre l’état actuel des choses qui fait du feu du Grinez un véritable piège tendu aux navigateurs.

Cette opinion a été adoptée par une commission d’enquête, et cependant rien n’a encore été décidé par le Conseil des phares et fanaux… 

 

Un nouvel éclairage :

Dès le 1er juillet 1842 des changements interviennent. Le feu fixe de premier ordre est remplacé par un feu tournant dont les éclats se succèdent toutes les 30 secondes. Et le petit fanal accessoire établi en 1838 est supprimé.

En 1861, la tour du phare est exhaussée de 10 mètres. Pendant la durée des travaux, un éclairage provisoire est installé sur une tourelle située à 55 mètres en avant du phare.

En 1869, est mis en place un nouveau système d’éclairage électrique d’une puissance de 600000 bougies. Il émet trois éclats blancs et un rouge pendant les 80 secondes de la rotation.     (5)

En 1899, nouvelle amélioration : on passe à quatre éclats blancs en 20 secondes avec un éclairage d’une puissance de 30 millions de bougies et on installe une sirène de brume.

Tous les soirs, jusqu’à son décès en mars 1939, Philippe Dubois   (6) , douanier en retraite au Cran-aux-Œufs, allume une lampe à huile à la Pointe du Riden. Quand cette lumière n’est plus visible du phare, le gardien de service met en marche la sirène de brume.  (7)

« Tiens, disaient alors les Audressellois, on entend le taureau de René Delvarre.»     (8)     

 

 Le phare et ses dépendances vers 1900

 

 

 Le phare et ses dépendances vers 1930

 


 

Une troisième sentinelle : le sémaphore

         En 1862, le Ministère de la marine et des colonies achète à Jean Hamain, propriétaire cultivateur, et Marie Cugny, son épouse, un terrain d’une contenance de 1200 mètres carrés au lieu-dit Le Gris-Nez, destiné à la construction d’une station électro-sémaphorique moyennant 936 francs de prix principal, outre les charges. (9)

         En 1866, un sémaphore ou télégraphe aérien est construit non loin du phare. A l’aide de ce mât de 15 mètres de haut, deux guetteurs communiquent avec les navires par des signaux optiques. Ce système, dérivé du télégraphe de Chappe, utilise des bras mobiles représentant l’alphabet. Inconvénient toutefois : les liaisons sont interrompues dès le crépuscule.

            Le sémaphore est relié avec le bureau central de la météorologie à Paris. Les bateaux croisant au large sont prévenus de l’imminence d’une tempête par des signaux coniques placés en haut du mât et localement appelés : « sac à tempêtes » (10) . De même, le pavillon de tout bateau étranger doublant le Cap Gris-Nez est hissé sur le mât  (11).

 


Les gardiens du phare et les guetteurs du sémaphore  

             Les premiers gardiens de phare sont originaires d’Audinghen. On en trouve trace dans les registres d’état civil. Ils ont noms Pierre Mathieu Honvault né en 1807, Jacques Dessurne né en 1803 et François Lacroix né en 1802.

   Les deux guetteurs du sémaphore, par contre, dépendant de la Marine, viennent de l’extérieur. Le premier d’entre eux est Alphonse Troudes, né en 1842 à Saint-Vaast la Hougue (Manche). Le 6 décembre 1869, il épouse Marie Dessurne, née en 1848 au phare du Gris-Nez, fille de Jacques, gardien de phare, et de Prudence Lemaire.

Pour la circonstance, Onésime Parenty, le maire, se transporte au Gris-Nez et célèbre la cérémonie  « en la maison de la future pour cause de maladie de sa mère, les portes étant ouvertes et le public ayant été admis… » (12) .Les témoins sont  Jacques Lattaignant, cabaretier, Marc Pourre, tonnelier, Louis Noël Robbe et Charles Maillard, tous deux gardiens du phare.

 Par la suite, le phare comptera cinq gardiens sous les ordres d’un « maître de phare ». Tous habitent des logements de fonction construits sur leur lieu de travail.

 Autres gardiens originaires d’Audinghen 

– Auguste Baillet : simple gardien en 1892 et maître de phare  en 1921.

– Arthur Louis Robbe, de 1922 à 1956, qui a fini sa carrière avec le titre de gardien principal.

– Marius Vidal, petit-fils d’Auguste Baillet, de 1946 à 1955.

– Marcel Chevalier entré dans le service des Phares et balises  en 1956, en qualité d’agent d’entretien et de remplaçant des gardiens titulaires.

             Phare et sémaphore sont détruits au cours de la Guerre 39-45. Le sémaphore ne sera pas reconstruit. L’un des derniers guetteurs sémaphoriques sera Lucien Popieul, disparu en mer le 4 juin 1940. (13)

 

 

Le phare provisoire et le nouveau phare

A la libération, il faut pallier au plus pressé : un feu à gaz installé sur un camion-grue sert de phare. Il sera vite remplacé par une tour métallique de 15 mètres de haut avec une lampe de 1500 watts, en l’attente de la reconstruction d’un phare définitif.

           

            Avec sa tour en pierres apparentes, le nouveau phare est mis en service le 15 décembre 1955. Ses coordonnées : latitude 50° 52′ 02" N et longitude 1° 35′ 01" E. Haut de 27 mètres, sa lampe de 1500 watts émet un éclat toutes les 5 secondes et sa sirène de brume lance un signal sonore de 3 secondes toutes les 57 secondes. La lanterne flotte sur un bain de mercure qui assure une rotation régulière du faisceau lumineux.

On utilisera ensuite une lampe à incandescence de 6000 watts qui, à son tour, sera remplacée par une lampe au xénon, d’une luminosité beaucoup plus forte.

Le phare dispose aussi d’un poste émetteur.  Le « radiophare » produit des ondes hertziennes fournissant un signal caractéristique qui permet aux navires de relever leur position au radiogoniomètre.

 

Henri Beaugrand, gardien au Gris-Nez de 1949 à 1981, nous parle de « son phare » :

            Autrefois, le phare se visitait. En période estivale, on accueillait parfois plus d’une centaine de personnes par jour. Bien sûr, je ne descendais pas. Les visiteurs montaient d’eux-mêmes. Cent quarante et une marches pour arriver à la coupole… mais quel plaisir, une fois là-haut ! Dommage que les visites aient été supprimées lors de l’automatisation…

            J’ai été affecté au Gris-Nez comme gardien. Je n’ai jamais connu d’autre poste, contrairement à mes collègues recrutés par la suite en qualité d’électromécaniciens. Ceux-ci devaient d’abord passer par des phares en mer.

            Après la guerre, il n’y avait plus que trois gardiens. Deux étaient logés dans des baraquements près du phare, et le troisième occupait le blockhaus de l’actuel « Bar du Cap ». En 1957, cinq pavillons ont été construits : trois pour le personnel titulaire et deux pour les élèves électromécaniciens qui venaient en stage au Gris-Nez. Ces logements ont été rasés en novembre 2002.

            Des naufrages ! J’en ai connu quelques uns lors de mes tours de garde : L’Equateur  (14)  à la Pointe du Riden en 1953, le Dannido  sur les moulières du Gris-Nez en 1959… 

 

            En 1985, le phare est automatisé et télécommandé. Conséquence fâcheuse : depuis cette date, il n’est plus visitable. Progrès d’un côté, recul de l’autre…

 

Le Breton Yves Bougant aura l’honneur d’être le dernier gardien de phare du Cap Gris-Nez.    

 

La quatrième sentinelle : le centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage en Manche et Mer du Nord : le CROSS Gris-Nez

 

         Service spécialisé des Affaires maritimes relevant du Ministère de la mer, le CROSS Gris-Nez, où 45 militaires de la Marine se relaient sans discontinuer, est chargé de plusieurs missions :

– surveillance de la navigation maritime,

– surveillance des pêches maritimes,

– recherche et sauvetage en mer,

– surveillance des pollutions marines,

– diffusion des renseignements de sécurité maritime.

Sa zone d’action s’étend de la frontière belge au cap d’Antifer, non loin du Havre. Avec un passage journalier de plus de 600 navires, les autorités maritimes internationales ont dû réglementer la navigation dans le Pas de Calais. Le trafic a été canalisé en deux voies : l’une longeant la côte française pour le flux montant, l’autre du côté anglais pour le flux descendant. Entre les deux, une zone de « non trafic ». Mais danger : cette « autoroute » est coupée en permanence par les bateaux assurant les liaisons des ports français avec ceux de Douvres et de Folkestone.

Le CROSS Gris-Nez doit être vigilant 24 heures sur 24.

 

photo Cross GRIS NEZ

1  Voir emplacement au chapitre 3 : Cartographie.

2  Mairie d’Audinghen : registres de catholicité et d’état civil.

3 de La Gorgue-Rosny : L’Etat ancien du Boulonnais, 1873.

4  Dont la source lumineuse ne tourne pas.

5  Le journal L’Impartial du 13 janvier 1869.

6  Décédé en mars 1939. Son épouse, Athénaïs Ducloy dite Thaïs, tenait un café au Cran-aux-Œufs.

7  Témoignage d’Alexandre Honvault.

8  Témoignage d’Eugène Lorge. René Delvarre a exploité la ferme de Framezelle de 1934 à 1965.

9  L’Impartial du 1er avril 1862.

10 Témoignages de Robert Blondiau et Alexandre Honvault.

11  Idem.

12  Mairie d’Audinghen : registre d’état civil.

13 Voir chapitre 23 : La Seconde Guerre mondiale.

14  Voir chapitre 16 : Naufrages, naufragés et naufrageurs.

 


 


 

 

 


Visiteurs en ligne
mars 2024
L Ma Me J V S D
« déc    
 123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031
ARCHIVES
LE CONTENU HISTOPALE