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 BULLETIN DE LA COMMISSION DEPARTEMENTALE DES MONUMENTS HISTORIQUES

Auteur Pierre André Wimet   1938

Un vestige boulonnais de la Guerre de Sept Ans : la Tour de Croy à Wimereux

    De l’ancien  fort en mer situé  à l’extrémité sud de la plage de Wimereux et connu  jadis sous  le nom de Tour de Croy , il ne reste aujourd’hui que  des assises informes  au  milieu de  pierres  écroulées. Ruiné  au  point de se confondre  avec les rochers  qui l’entourent, il ne sera  bientôt  plus qu’un  souvenir.  Voici, avant que les flots  n’en  détruisent complètement les derniers  vestiges, quelques détails sur son histoire modeste et peu connue. 
     
La petite  baie où s’étend la plage de Wimereux était  autrefois l’endroit de notre  côte le plus propice au  débarquement d’une flotte ennemie. Son anse offrait aux vaisseaux ayant  des desseins hostiles un point de mouillage dont l’abord naturellement  facile  n’était  défendu par aucun ouvrage militaire.  De plus sa situation très  proche de Boulogne donnait  à l’adversaire,  qui  aurait  effectué  là  une descente l’avantage de  pouvoir enlever par surprise  cette  ville, clef de toute  une  partie  du  littoral. Les Anglais, avec lesquels  nous étions continuellement en guerre sous L’Ancien Régime, n’ignoraient rien de tout cela. Le 13 août  1708 une flotte britannique, forte d’une soixantaine  de  voiles et  commandée  par  l’amiral  Byng,  tenta   de débarquer à  l’embouchure du  Wimereux. Le marquis  de Colembert  avec un détachement de troupes  boulonnaises réussit heureusement à empêcher les ennemis  de mettre  pied à  terre. Malgré cette chaude alerte, l ‘endroit devait  encore rester  près de cinquante ans dépourvu  de toute  protection Ce ne fut en effet qu’au  commencement  de la guerre  de Sept Ans, au moment  où les côtes de la Manche se trouvaient sous la menace imminente d’une attaque anglaise, que le  maréchal  de  Croy fortifia  cette  anse en  y faisant élever la tour qui  porte  son nom.
 
 
 
    Emmanuel, prince  de  Croy-Solre, fut  l’une  des  plus  intéressantes figures militaires  du  règne de Louis XV et  peut être  considéré comme un grand serviteur  de la Monarchie. Relater  ici, même dans ses grandes lignes, sa brillante carrière entraînerait hors du sujet. En 1757 on lui confia, sous le  haut  commandement du  Maréchal  de Belle-Isle,  la  mission de  mettre en état  de défense toutes les côtes de la Picardie,  du Boulonnais et du Calaisis. A cette œuvre il se consacra  tout  entier,  n’épargnant ni son argent, ni sa santé. Grâce à lui notre littoral fut rapidement doté de batteries nombreuses, de fortins et de  postes  de garde. Parmi ces travaux de fortifications le plus important ,sans  contredit, fut  la  tour  bâtie dans la baie du  Wimereux .Ce fut d’ailleurs l’un  des  premiers que le prince  de  Croy fit entreprendre. Le devis est daté du 20 mai 1757. On y lit que l’ouvrage serait « conduit, jusqu’à  la hauteur de vingt  pieds, sur  un  talus  d’un neuvième  et le reste… élevé à plomb ».        L’emplacement choisi était  le plateau de Tourne,  banc de rochers situé  nord de la pointe de la  Crèche et seulement à découvert à marée  basse. Il est probable que l’on  commença la construction aussitôt le devis dressé, car en août 1757 les travaux étaient déjà fort avancés. Malheureusement dans le  courant de  ce  mois-là, les flots,  avec  lesquels  il fallait  quotidiennement combattre, détruisirent une partie de l’ouvrage. Le prince  de Croy vint  lui-même  sur  les lieux  pour se rendre compte  des  dégâts.  Une lettre datée du  27 août et signée  de M du  Chastelet subdélégué de  l’lntendant, relate sa visite  à Boulogne : «… M. le prince de Croy  vous aura sans doute  fait  part, Monsieur, des débris que les coups de mer ont  fait  à la tour  qu’on  bâtit  à Wimereux ; il est arrivé ici hier soir, et il n’y  avoit  pas un seul morceau de poisson de mer,  mais  ,j’ai esté  assez  heureux pour  trouver assez  de poisson d’eau douce  pour  y suppléer.Il s’est  enfermé  avec  Mr de Varignon, les  ingénieur et l’entrepreneur de  la  tour  pour en  conférer. Je  n’ay pas esté admis à cette conférence, mais je pense que c’est une entreprise  abandonnée pour  cette année,  et  qu’au printemps  prochain  cette tour  qui  a esté  eslevée  jusqu’à   dix-huit pieds  de hauteur ne sera  plus qu’un monceau de  pierres ».
 
 
 
 
   Ce en quoi  M. du Chastelet se  trompait beaucoup, car, dans  cette  lutte avec  la  mer,  le maréchal   de  Croy  n’était pas  homme à  abandonner la  partie à  la première  difficulté. Les travaux furent  repris  et  continués pendant l’hiver  1757-58.  Au printemps suivant la construction était  terminée, et le 22  juillet  1758 la milice garde-côte prenait possession  de la  tour.  Bien  que  déjà  habitable celle-ci n’était pas encore  entièrement achevée.  Elle  ne le  fut que l’année suivante. Le toisé  des travaux fut fait et signé au  château  d’Honvault le 30 juillet  1759 par  le  chevalier  de  Beauvilliers, ingénieur  du  Roi.
 
   Le fort  de  Croy se  présentait sous  la  forme  d’une grosse tour demi cylindrique  supportant une  plateforme et un  corps de logis  en  retrait. Le mur  de la  partie semi circulaire était fait  " de boutisses  et panneresses par assises réglées " et le parapet de la plate-forme couronné de pierres de  tailles. Le  corps  de logis assez  vaste  était  percé  de  plusieurs  fenêtres et  de deux  portes. La porte d’entrée ouvrant vers la  falaise portait sur  son linteau une  devise  sculptée dans  la pierre . L’autre donnant sur  la  plate-forme était surmontée des  armes  du  Roi .Sur  les  murs du   corps de logis  se  trouvaient aussi deux  petits cadres  contenant, la date de la  fondation de l’ouvrage et  celle de la fin (?). Le fort  possédait encore  un magasin  à poudre aménagé  vraisemblablement à l’intérieur du  bastion. Enfin en l’an II ,il fut doté  d’un  fourneau à  réverbère et d’un mât  à  signaux .
 
Il  serait  assez  difficile  de  dire,   même   approximativement, ce  que coûta cette  construction. Nous savons seulement qu’on dut faire  peu  de dépense  pour les matériaux, car on se servit surtout de pierres  provenant de la  démolition de la  jetée  d’Ambleteuse .  La plus  grande  partie  des frais  fut, dit-on,  réglée par le prince de Croy. C’est du  moins ce qu’avance certain de ses  biographes, car  il  n’est guère  possible  de se  prononcer sur   ce point. La  seule  chose  qu’on puisse  assurer  et qu’il  n’eut pas  la totalité de la dépense à sa charge et que l’Etat en régla une partie.  En effet, le 05 mai  1759 le maréchal  de Belle-Isle  donnait l’ordre de  prélever, sur le fonds  des 50.000 livres  destiné à la construction des batteries établies sur  la côte  du  Boulonnais ,l ‘argent   nécessaire  au  règlement de  "la dépense faite  pour l’entière perfection de la tour  de  Croy" .
 
 
 
Le Tourne Rocher lieu de construction du Fort de Croy  ( source BNF)
 
 
La Tour de Croy  , plan de 1776 ( source BNF)

 Nous  ignorons quels  furent, sous  l’Ancien  Régime  et sous  la Révolution,  les services  certainement nombreux que rendit à la défense  du littoral  le fort de  Croy. L’histoire locale  parle  peu de cet ouvrage maritime et passe sous silence son activité aux époques ci-dessus. Son travail principal devait probablement consister  à éloigner  de la côte, à 1’aide de ses canons, les vaisseaux  ennemis qui s’en   approchaient par  trop   près. Mais cela était peu de chose à côté de la lutte incessante qu’il  avait à soutenir contre les flots. 

  Par sa  situation très  avancée il était exposé  aux  moindres coups de mer  et chaque tempête était marquée de dégâts  souvent considérables. D’où de  nombreuses et coûteuses dépenses difficiles  parfois   à  couvrir. Aussi vit-on, en 1783 le  Roi donner, sur les instances du Maréchal de Croy, une somme de dix-huit mille livres  pour subvenir à l’entretien de la tour .

   Les  réparations n’étaient  pus  toujours commodes à  effectuer, surtout lorsqu’elles étaient urgentes. Deux  fois par jour la mer, à l’heure du flux, entourait le fort  et le rendait  inaccessible. Cela obligeait à suspendre les travaux à chaque  marée. Au mois de floréal an II , le parapet étant abîmé  et demandant à  être  arrangé très  rapidement, on fut  obligé  d’employer  les grands moyens  et  de conserver les  ouvriers à  demeure jour et nuit.
L’on   peut  se  rendre compte  par là que  la  vie  des  gardes-côtes  qui tenaient garnison  en la tour  était assez semblable à celle de nos modernes gardiens de  phare. Pour  la plupart du  temps  prisonniers de l ‘eau,  ils n’avaient comme eux pour  bercer leur solitude que  la  plainte monotone du vent et le  bruit du  ressac.
  Sous  le  Consulat, au  moment où  l’on   commençait à  préparer la  fameuse  descente en Angleterre, la  baie  du Wimereux fut, grâce à son  fort, l’un des premiers endroits de la côte boulonnaise qui aient attiré l’attention de  Bonaparte.  Le  14  septembre 1803  celui-ci écrivait à  Soult. « Je désire  que  vous  voyiez  l’anse où  est située la tour de  Croy  et  que  vous confériez avec l’amiral Bruix et le  citoyen Sganzin  pour  savoir  si, dans cette anse  où  je n’ai  pas  été  et qui  est  protégée  par cette  tour s’il  n’y aurait pas un refuge  pour  quelques bâtiments de la flottille et si les vents qui permettent de sortir de Boulogne  sont favorables pour sortir  de cet endroit » . Sur   une  réponse   affirmative, le  Premier  Consul  fit  creuser un  port  en  ce  point  du  littoral, et  établit un  camp  aux  environs.
 
Le plan du port de Wimereux ( BNF)
 
 La tour qui  était alors  armée  de quatre pièces  de 24 et d’un mortier de 12 pouces , servit à garder l’entre du nouveau port. Elle fit en même temps  partie avec le fort  de la  Crèche ,le fort-en-bois à Boulogne  et le fort de l’Heurt au Portel, d’une ligne de feu destinée  à empêcher l’approche des bâtiments ennemis, et à  protéger la  sortie   de  la flottille.
 
Plan de la rade de Boulogne sur mer ( Archives Municipales Boulogne sur Mer )
 
Durant toute cette période son histoire se  confond  avec  celle  du  port et du  camp  de Wimereux. Cette dernière reste  à faire et il serait trop  long et hors de sujet de  l’entamer   ici. Lorsque  Napoléon,  renonçant à l’invasion de l’Angleterre, se retourna contre  l’’Autriçhe, camp  et  port  furent abandonnés .Ce dernier  s’ensabla rapidement. Wimereux qui  avait été,  grâce  à la  Grande  Armée,  pendant quelques  années « une sorte  de petite ville » redevint un misérable  petit hameau de pêcheurs.  Quant  à la  tour de Croy, on  continua à l’entretenir et à l’occuper. En 1815 , la France  se résignant à laisser à la Grande-Bretagne la  domination des mers, la défense des côtes cessa d’exister. Pendant la  Restauration et la Monarchie de Juillet, le personnel  qui en était chargé fut presque entièrement supprimé et l’on abandonna matériels et bâtiments. Toutefois certaines fortifications furent  épargnées. Le  fort  de  Croy  était de ce nombre .Il ne fut  définitivement désaffecté  que bien  plus tard, vers 1875. Jusqu’à cette époque là on conserva sa batterie et un gardien. Le dernier  qui  exerça  cette  fonction  était  un nommé  Chapuis.
 
 
Le fort de Croy au début du siècle dernier
 
   Après son  abandon, la vieille tour  de  Croy ne tarda pas à se désagréger. Continuellement  sapée  et  rongée par  les flots, elle vit sa ruine se consommer  d’année en année, tandis qu’au fond  de la  baie qu’elle avait protégée  pendant si  longtemps, se formait, villa  par villa,  l’actuelle station balnéaire.  Aujourd’hui, il ne reste  de  ce témoin  d’un   passé  glorieux  que quelques  informes  débris : amoncellement hétéroclite de pierres  couvertes de goémons et de coquillages. A l ‘heure du flux un petit îlot rocheux émerge encore  des  eaux,  mais  les  jours  de  tempête, pareil au  milieu  des lames  à quelque  sombre  écueil  armoricain, il  disparaît sous  les gerbes  et  les panaches  d’écume.
 

Pierre-André WIMET.

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